Onze ans que l’on attendait le troisième opus du supergroupe : The Raconteurs. Onze années où l’ami Jack White a soufflé le chaud (Raconteurs, Dead Weather) et le froid (Ses très moyens albums solo). Onze années pour avoir une suite au très beau Consolers of the Lonely. Onze années pour que le feu dans la guitare de Jack se remette enfin à brûler. Moins Folk, moins Country que les précédents opus, c’est le Rock’n’Roll qui vient enflammer la galette et remettre les pendules à l’heure. Jack White sait toujours faire du Rock. Pour ceux qui en doutaient encore.
Il faut avouer que l’on n’y croyait plus trop.
Depuis que le grand Jack White avait changé le Rouge et blanc des White Stripes pour le bleu et noir d’une carrière solo pas tout à fait convaincante, notre Coeur de Rocker comme chantait le chevrotant Julien Clerc n’y était plus vraiment.
Quand les Bandes Blanches tirèrent leur révérence en ce beau mois de Juin 2007 avec la sortie du solide Icky Thump, c’est une partie de nos orgasmes Rock 00’s qui se faisaient la malle emportant au loin la satu’ rageuse de Jack et les gros nichons de la douce Meg ballottant au rythme d’une batterie sèche et métronomique.
Les rénovateurs de ce Rock post-Kurt Cobain avaient craché en l’espace de six albums de quoi ressusciter un genre moribond depuis la disparition d’un Grunge condamné à mourir avec le blondinet de Seattle. C’est en grand mécaniciens, les fouilles dans le cambouis et le Marshall poussé à fond, que le vieux tacot Rock’n’Roll se transformera sous les doigts de fée du duo de Detroit en Mustang rouge-flamme crachant le feu de l’enfer sur les routes désertes d’un genre quasi-abandonné.
L’aventure des Stripes se termine et laisse les fans de ce Garage Rock sans concessions, un peu orphelin.
Meg ne pouvait plus continuer, fragile, trop fragile Megan. Mais le grand Jack de son côté n’en a pas terminé avec la musique.
Les projets sont légion, et la faim de Jack semble inassouvissable:
Un Rock underground, plus expérimental avec les Dead Weather en compagnie de la belle Allison Mosshart (The Kills) qui vient prêter sa jolie voix au projet.
Ses trois albums solo. Trois albums un peu trop propres sur eux où le grand Jack troque le rouge feu des Stripes pour un bleu plus froid, plus lisse.
Et bien sûr, ce qui nous préoccupe aujourd’hui: Les Raconteurs.
Avec les Raconteurs, Jack s’accorde un retour aux sources bienfaisant avec ses potes de Detroit, un voyage musical roots dans cette Americana qui lui est si chère.
Un désir profond d’investir la Folk et la Country et lui redonner ce lustre un peu oublié de nos jours. Retrouver les racines de cette Amérique de chercheur d’or, les nettoyer, les retravailler avec respect et les offrir au public, comme il avait offert ce Blues crasseux tout droit sorti de ce putain de delta du Mississippi avec les White Stripes.
Les Raconteurs c’est avant tout une histoire de potes. Les potes de Jack issus de la scène Garage de Detroit avec lesquels il jamme depuis un bon bout de temps et dont les projets d’albums évoqués autour d’une bière au bar du coin vont prendre sérieusement racines dans l’esprit de Jack.
En 2006, Jack White (guitariste-chanteur), Brendan Benson (multi-instrumentiste), Jack Lawrence (bassiste également des Dead Weather et The Greenhornes) et Patrick Keeler (batteur) vont donc balancer un premier album (Broken Boy Soldiers) qui sans révolutionner le genre – chose que Jack sait pourtant faire à merveille – offre une Jam Session de luxe aux oreilles affamées de distorsion Whitienne.
C’est deux ans plus tard que le supergroupe se solidarisera réellement et parviendra à réaliser la synthèse – quasi-parfaite – des nombreux genres qu’ils investissent.
Avec Consolers of the Lonely, The Raconteurs semblent se trouver dans ce mélange survitaminé de genres, de styles et un foisonnement instrumental tonitruant. Jack White semble enfin avoir pris sa cour de récré au sérieux.
Onze ans ! Il aura fallu attendre onze ans pour connaître une suite au très roots Consolers of the Lonely.
Et notre attente n’aura pas été déçu.
Dès le début Bored and Dazed ouvre les hostilités et place le disque sous le signe du Rock, un Rock solide, une satu’ compressé à merveille et des stridences « Whitienne » traditionnelles, devenues la marque de fabrique des solis de Big Jack. C’est le son, la netteté de la vibration, le grésillement maîtrisé qui frappe l’oreille.
Avec Bored and Dazed Don’t Bother Me, Sunday Driver ou encore Live a Lie transpirent ce Rock Old School, ce Rock de Ricain, ce Rock premier degré, du son, juste du gros son. Ce sont les effluves d’un Hard Rock d’une autre époque, d’un autre siècle qui sautent en premier lieu aux oreilles sur Help Us Stranger. Une pulsation seventies, une respiration Zeppelinienne et des renvois « Assédéciens » rythment un album hard-boiled à la production impeccable.
Une production totalement maîtrisé – enfin ! – grâce au joujou multifonctionnel que s’est offert sir Jack voilà déjà quelques années: Le Third Man Records.
Maison de disques, studio d’enregistrement, salle de concert, laboratoire photographique et une boutique, le tout estampillée Jack White. La salle de jeux que s’est offert White après le carton des Stripes est une véritable Dream Factory: Camion de glaces transformé en « Disc Shop » itinérant, réédition de vieux Bluesmen oubliés et fabrication de disques vinyles originaux.
Cette factory implantée à Nashville est devenue un champ d’exploration musical inédit, un laboratoire de savant fou pour Docteur Jack qui va s’amuser – un peu trop ? – comme un petit fou avec son nouveau jouet.
Car les expérimentations de Jack – sur ses trois albums solos notamment – n’ont pas toujours été fructueuses ou franchement innovantes. Là où les White Stripes avaient léché un son Garage grésillant à souhait, sculpté un son brut, tombé de la roche; Jack va travaillé son son en solitaire et de manière excessive. Il va polir son Rock, poncer les arêtes trop abruptes, arrondir les angles et rendre trop joli, trop prévisible, un Rock qui n’est jamais aussi beau que nu et sans fard.
Avec Help Us Stranger, Jack semble avoir apprivoiser la bête Third Man Records.
Les expérimentations, les innovations sont toujours là mais ne débordent pas du cadre Rock’n’Roll du disque. Le travail du son réussi le sans faute et parvient à maintenir un équilibre délicat entre les disto’ brutales, les solis plein d’électricité recrachant les vapeurs électroniques d’une table de mixage totalement maîtrisée (Sunday Driver par exemple) ou les violons Country de la superbe ballade Thoughts and Prayers.
Le son domestiqué, les nombreuses applications du joujou électronique de Jack enfin digérées, Les Raconteurs plongent dans leur Americana la tête la première et passent en revue genres (Rock, Folk, Country…) et styles ( Pop, Ballades, Hard Rock…) avec un plaisir évident et communicatif.
Les Raconteurs signent avec leur troisième album le digne successeur du très réussi Consolers of the Lonely.
Une suite plus Rock, plus énergique. Un Rock évident, sans strass ni paillettes.
On avait un peu baissé les bras au regard d’une carrière solo « Whitienne » en demie-teinte et sa perception plus policée, plus « pixélisée » de son parcours musical. Mais les Raconteurs ramènent le grand Jack par la tignasse, lui foutent sa gratte entre les pognes et branchent le Marshall à donf. Les Raconteurs – et Jack ! – reviennent aux basiques du genre et ne s’encombrent pas d’expérimentations plus ou moins efficaces, plus ou moins intéressantes.
Les petits gars de Nashville rebranchent les instruments et laissent aller leur mood au gré de leurs envies, sans finalement se soucier de nous.
Et c’est exactement ce qu’on voulait.
Renaud ZBN
The Raconteurs – Help Us Stranger
Label : Third Man records / PIAS
Date de sortie : 28 juin 2019