Mirabai Ceiba et Agua De Luna sont le fruit des expériences de la mexicaine Angelika Baumbach et de l’allemand Markus Sieber(déjà croisé avec son autre projet Aukai). Le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat se révèle encore plus cosmopolite qu’il ne le promettait, dérivant à vue entre des terres latines, une Inde fantasmée et une certaine idée de la plénitude.
En amateur de Rock indépendant que vous êtes, le simple terme de World Music suffit à vous faire fuir loin, très loin pour ne pas avoir à subir les affronts sonores d’une musique navrante. Pourtant vous connaissez votre Fela Kuti sur le bout des doigts, avec ou sans Tony Allen. Les projets de Damon Albarn avec Mali Music éveillent votre enthousiasme mais bon, il faut bien l’avouer, la World Music vous exaspère souvent. Alors quand, en plus, on y ajoute le terme putassier de New Age, prendre ses jambes à son cou semble la solution offrant la meilleure prévention pour la santé de vos oreilles. Et si je vous disais que vous avez sans doute tort car vous passez à côté de bien des merveilles. Citons peu, faisons court… Violeta Parra, BCUC, Lula Pena, Rodrigo Leao, les productions du label Pagans Music,la coréenne Park Jiha, Madredeus, autant d’univers passionnants sans chronologie cohérente à découvrir. La musique latine comme un terra incognita à explorer, de la Cumbia au tropicalisme.
Certains artistes sont des intégristes, se référant aux sons d’origine, respectant un patrimoine sans toucher une seule note. D’autres puisent dans le même répertoire une énergie qui fait passerelle entre le passé et le présent, le souvenir et le futur. On se rappellera ici de la traduction littérale du nom du groupe mené par Lisa Gerrard et Brendan Perry, Dead Can Dance… Les morts peuvent danser, les ancêtres résonnent encore en nous, pourrait-on dire, comme des ombres ou des fantômes devançant nos pas. Mirabai Ceiba distille dans sa « world music » une belle part de Folk.
C’est avant tout la rencontre de deux individus, la mexicaine Angelika Baumbach et l’allemand (né à l’est) Markus Sieber. Plus mondialiste dans un sens noble du terme que seulement world Music, rien que le nom du groupe se pose en manifeste artistique, Mirabai (1490-1547) était un chanteur de musique sacrée hindoue et le Ceiba est l’arbre sacré de l’Amérique Latine..
On ne sera donc pas surpris de cette spiritualité qui se dégage d’Agua de Luna mais la belle intelligence du duo réside sans aucun doute dans cette capacité à ne jamais trop appuyer le propos, à y cacher une belle légèreté.
Angelika Baumbach analyse son projet avec Markus Sieber ainsi :
Nous faisons le vœu que notre musique soit comme cet arbre, avec ses racines qui s’enfoncent profondément dans la terre mère et ses branches qui poussent vers le ciel. Mirabai signifie pour nous le voyage, la dévotion, l’inspiration, la spiritualité.
Mêlant aussi bien les langues (l’anglais et l’espagnol) que leurs voix, Angelika Baumbach et Markus Sieber imposent en douceur une personnalité singulière qui s’affranchit des stéréotypes et des limites d’un cahier des charges qui se ferait sans doute plus prévisible entre d’autres mains. On avait remarqué déjà le travail de Markus Sieber avec Reminiscence le troisième disque de son autre groupe, Aukai. Construite autour d’un Ronroco, cette petite guitare dont on entend le son cristallin dans les B.O d’Alejandro González Iñárritu composés par Gustavo Santaolalla. Même si on retrouve ici l’instrument fétiche de l’allemand, la proposition est toute autre. Se refusant à une posture figée en mode « Roots », depuis ses débuts en 2004 avec Flores, Mirabai Ceiba diffuse une musique du mouvement, ne cessant de faire des allers-retours entre les espaces-temps, adaptant le poète mystique persan Rumi ou encore le mexicain Nezahualcoyotl sans jamais se départir d’une envie de modernité.
Agua De Luna laisse le temps aux chansons de s’installer, jouant avec les codes et rappelant parfois, sans doute fortuitement, les anglaises des Unthanks comme si le folk du Northumberland se délocalisait dans des territoires imprécis. Porté par des arrangements somptueux et évitant les clichés, Mirabai Ceiba se fait contemplatif sans jamais être évanescent, du superbe We Are The Mirror au tremblant Claro Lucero Del Dia, Agua De Luna tient ses promesses d’apaisement lucide et clairvoyant. Le disque n’hésite pas à s’égarer parfois dans des couleurs presqu’ambient ou en bordure du minimalisme. On se plait à imaginer une Karen Peris (The Innocence Mission) noyée de soleil car on entend dans la musique du duo cette même soif de simplicité, de retour aux essentiels, cette fuite du futile et du dérisoire avec ce sentiment d’urgence tranquille.
Plus nocturne qu’onirique, la musique de Mirabai Ceiba invite à une forme de paradoxe et de jeu de forces entre introspection et extraversion. Des sensations mobiles et fugitives magnifiées par la harpe et le chant tout en nuances d’Angelika Baumbach avec le contrepoint baryton de Markus Sieber. Alors, certes, parfois l’imagerie qui entoure le groupe frise avec le mauvais goût mais l’univers des deux s’avère finalement bien plus attractif. Touché par la grâce à de nombreuses reprises, Agua De Luna transcende les limites d’un genre pour aller à la rencontre d’autres nuances de styles. Il devient alors bien difficile de localiser sur une carte du monde musical les propos de Mirabai Ceiba, Latine, moderne, cristalline, éthérée, autant de qualificatifs pour tenter de saisir la raison du plaisir ressenti à son écoute.
Un disque immédiatement accueillant, ouaté et doux qui vous happe subrepticement comme des bras qui vous entourent.
Greg Bod
Mirabai Ceiba – Agua De Luna
Sortie le 21 juin 2019
Label : Autoproduction