Petit Sauvage #1, troisième album du rennais Matthieu Eveillard exilé depuis plusieurs années à New York, prouve à quel point une ville peut influencer la composition d’un disque. Après le folk de son premier disque déjà consacré à New York et les influences plus sombres de l’ep Tous nos feux brûlent la nuit, Petit Sauvage #1 se pose là en métamorphose.
Je ne sais pas vous mais il m’arrive parfois de m’interroger sur l’interrogation, la réflexion qui court lors de la création d’une oeuvre d’art. Qu’est ce qui peut bien amener une sensibilité de telle ou telle manière ? A affirmer tel ou tel état plutôt qu’un autre ? Quel est ce long chemin qui amène quelques notes vers une longue maturation qui se transformeront en chansons ? Où se cache cette vie secrète des mots,cette autonomie du sens qui prend ses chaussées de traverses. Cette pensée qui se fait « extime » comme comme dirait Michel Tournier.
Ne serait-il pas finalement toujours question de journal extime quand on aborde la chose musicale, ces pensées que l’on croyait par trop douloureuses et que l’on enfouissait au plus profond de soi au point qu’elles finissaient par prendre une ironique poudre d’escampette ? Et si tout disque était un objet d’extimité à l’image de Petit Sauvage #1,celui du new yorkais d’adoption et rennais de coeur Matthieu Eveillard et ex membre du groupe Kowalski. Car même si les tonalités stylistiques ne sont pas les mêmes entre les deux premiers efforts du rennais, Tous nos feux brûlent la nuit en 2017 mais aussi New York en 2016 et ce dernier né, il y a quelque chose de commun aux trois albums, sans doute cette capacité à décrire une impression d’une ville, comment on apprend à la connaître, l’apprivoiser et en comprendre les codes puis comment lentement on y installe sa vie et ses repères, son histoire. Comment lentement cette ville s’installe en nous malgré nous et laisse trace au creux de nos chairs.
https://www.youtube.com/watch?v=GhlG-q-ImHw
C’est peut-être cela que l’on entend tout au long de Petit Sauvage #1, un cosmopolitisme ouvert à tous si loin des replis nationalistes d’ici. A l’écoute de ce disque, reviennent à la mémoire ces regards sidérés et médusés pointés vers le ciel et deux tours, des langues de partout dans le monde. Petit Sauvage #1 retranscrit à la perfection cette frénésie et ce mélange des cultures inhérentes à New York. Délaissant la guitare seule, Matthieu Eveillard profite du cosmopolitisme de Big Apple et distille des rythmiques Hip-Hop à son folk. Oubliant la sécheresse de ses premiers disques qui rappelait l’atonalité de Bill Callahan, Matthieu Eveillard se réinvente quelque part entre Etienne Daho et Gérard Manset et retranscrit l’effervescence des rues de New York, ses quartiers.
On imagine aisément Matthieu Eveillard ayant délaissé ses disques de Folk pour se plonger du côté de l’Orient. Ce ne sera pas Le Lac qui ouvre Petit Sauvage #1 qui viendra contredire cette réflexion mais ce que l’on comprend vite à l’écoute de ces nouveaux titres, c’est qu’il ne faudra pas s’attendre à chercher une forme de cohérence ici, bien au contraire, tout semble disparate et presqu’incertain. Convoquant aussi bien la banalité du quotidien comme sur Si tu t’installes ou des effluves jazzy sur Cristal, Matthieu Eveillard dessine à traits enlevés les contours d’un état d’âme, d’une sensation. Imaginez un individu qui passerait de East Village à Rhode Island, forcément ses climats intérieurs en seraient changés. Matthieu Eveillard a trouvé cette écriture de ce journal extime comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, comme l’affirmation d’un doute, comme la verbalisation de ce que l’on ne sait dire, comme la mise à distance d’une crainte, comme un petit caillou blanc qui irrite la marche.
Petit Sauvage #1 est un disque éminemment citadin, je mets fort à parier qu’à son écoute, même sans savoir que Matthieu Eveillard vit dans la grande pomme, vous l’auriez deviné au seul sentiment d’urgence qui se diffuse tout au long de ces titres. Il signe un disque d’un fantasme de Rock new yorkais digéré par un français, ce qui en fait une entité singulière.
https://www.youtube.com/watch?v=h3jv3SztQSE
Le cul entre deux chaises, d’un côté tenté par une volonté Pop en mode ligne claire, de l’autre plus orienté vers un Rock sec et parfois dissonant, Matthieu Eveillard nous égare en chemin et c’est tant mieux. Avec un propos sourd à la tiédeur, il pose un regard acide mais tendre. Du suggestif mais très beau Mon cœur est un archipel à Essaouira, il dit les gouffres mais il imagine aussi les cordes qui aident à remonter vers la lumière, une corde pour abréger les angoisses ou un fil d’Ariane pour remettre du sens.
Greg Bod