Rêveries solitaires autour d’un genre, d’un homme : John Lee Hooker. Les entrelacements salvateurs entre une douleur, une voix, une liberté à gagner et une guitare. That’s the Blues, Baby !
Il n’y a rien. Ou presque rien.
Une guitare.
Une guitare rugueuse, balafrée. Comme le prolongement de l’âme. L’âme perdue du Mississippi enfermée dans cette caisse de bois, bourdonnante, grésillante. Prisonnière derrière ces six cordes comme derrière les barreaux d’une cellule.
Cette âme qu’il faut libérer, laisser sortir de sa cage de bois par tout les moyens. L’urgence d’un peuple à évacuer la peur et la honte; cracher son émancipation à la face du monde.
Ouvrir les portes de la prison et laisser s’échapper l’étincelle qui rallumera l’espoir, qui redonnera la vie au peuple esclave. Permettre à cette respiration qu’est le Blues, enchaîné dans les yeux baissés de la nation Noire, de ranimer un futur désespéré.
Une guitare moteur de l’affranchissement lorsque l’âme prisonnière s’en est enfuie, lorsqu’elle a repris sa place au fond des yeux du Bluesman. La guitare comme échappatoire, comme moyen d’exister, comme arme pour résister.
Une voix.
Un torrent charriant ses cailloux, dégringolant avec fracas dans le calme de la plaine. Quelque chose d’éternel et d’inexorable.
Un éclat de rire dans une vallée de larmes. Une voix comme un habit usé, le costume élimé de la Soul tout juste libérée de sa prison. Le manteau humble et magnifique qui habille cette âme encore fragile, qui la protège dorénavant de l’extérieur, qui lui tient chaud.
Cette voix naissante, toute neuve et pourtant déjà si abîmée. Cette voix profonde qui vient s’insinuer sous ta peau, qui vient réchauffer ta carcasse comme un vieux whisky.
Puis vient le jour où le bois se mêle à la chair, où l’âme se pose sur la voix. Cette sorcellerie, cette magie Noire qui fait parler le bois, qui rend l’âme enfin visible aux yeux de tous.
L’alchimie improbable qui transforme la douleur en musique, la fatalité en espérance, et le fer en or.
Une fleur sur du béton. Juste une fleur sur du béton.
Renaud ZBN
John Lee Hooker – It Serve You Right to Suffer est sorti en juin 1966 sur le label : Impulse!