Une programmation éclectique accueillait les festivaliers de la 31e édition du festival de Belfort, faisant cohabiter fans de rap et amateurs de rock burné dans une ambiance festive. Plus de 120 000 spectateurs ont répondu à l’appel sur quatre jours.
Jeudi 04 juillet 2019
Les jurassiens de Bigger ont l’honneur d’ouvrir le festival sur la scène de la Plage. Les cinq musiciens distillent une pop folk déstructurée. Convaincant, le chanteur Kevin Twomey prend bien des détours harmoniques dont les titres plus enlevés provoquent la réaction du public. Tout comme Salut C’est Cool, collectif français technoïde qui manie l’humour potache comme personne. Derrière le gros bordel organisé – les gars font du vélo, construisent une baraque avec des palettes, se font coiffer – le Dj balance des sons qui s’emballent sur les refrains. Les titres annoncent la couleur : Ca Sent La Maison, Techno Toujours Pareil et Bout de Bois. Le public est survolté et le groupe leur rend bien, en dépit des fans de rock qui hallucinent gratis. Plus sérieux et plus confidentiels, les belges Brutus.
La chanteuse batteuse Stefanie Mannaerts maltraite son instrument tout en s’occupant du chant avec assurance, et met ses deux compères (basse et guitare) au pied. Leur noise-rock garage ne fait pas dans le détail et se permet même des incursions surprenantes dans un métal dépouillé, voir post rock. Pendant ce temps, Olivier Cachin, journaliste à Rock & Folk, passe des disques sur la scène Radar, distille ses pépites rap et hip hop qui annoncent clairement la tornade NTM à venir. Mais avant, les heavy boys du Sunset Boulevard occupent la grande scène. Les coupes de cheveux, et les looks dont le chapeau nous indiquent que Slash (guitariste de Guns N’ Roses) est dans la place, accompagné royalement par Myles Kennedy and the Conspiration. Doué, Slash maîtrise les riffs de guitares sans trop en faire et on ne le remerciera jamais assez pour ça. Plus loin, des lumières rouges sur scène indiquent l’arrivée d’Interpol. Les américains revisitent principalement les deux premiers albums (Antics et Turn On The Bright Light). Leur rock cold wave toujours efficace sur Slow Sand et Not Even Jail, laisse pourtant un goût de déjà vu et le set est bien moins tendu qu’auparavant.
En voyant Arrow De Wilde, la chanteuse des Starcrawler, se déhancher sur la scène de la plage, on ne peut qu’avoir de la peine. La brindille déglinguée doit peser au bas mot 40 kg et suscite la compassion. Leur rock stoogien ne fait pas dans la demi-mesure, et rend hommage au rock puissant et cradingue. Les singles I Love LA et Chicken Woman font leur job, une reprise des Ramones Pet Sematary enfonce le clou malgré une voix pas spécialement mise en valeur. La gouaille de Joey Starr et de Kool Shen résonne sur Malsausy. La tournée annoncée comme étant la dernière des Suprême NTM, attire un public bigarré, on y croise autant des fans de rap que de rock. En deux titres, ils mettent le feu et prouvent qu’ils sont toujours des bêtes de scène, comptabilisant plus d’un siècle a eux deux. Les tubes Dans ma Benz, Paris sous les bombes sont toujours percutant. Rare sont les groupes ayant autant de personnalités. Des mines patibulaires, des sons qui renvoient aux Fall ou Gun Club, bienvenue aux Fontaines DC, formation irlandaise qui s’inscrit avec Shame ou Idles dans le renouveau du punk-rock. On est clairement plus proche des Clash dans le discours que de Shame 69. Les titres s’enchaînent, dont les tubes relatifs que sont Sha sha sha ou The Lots. Toutefois ils paraissent un peu cuits pour que leur performance reste a retenir.
Vendredi 05 juillet 2019
Grâce à Internet, les coréens de Say Sue Me connaissent parfaitement les classiques. Leur shoegaze référencé Yo La Tengo met de bonne humeur pour toute la journée. Les pepites pop Good For Some Reasons et Lets Don’t Say Anithing sont enchaînées sans pression et « Dreaming « de Blondie, une de leur référence majeure, est interprété avec conviction. Avec simplicité, les coréens revisitent la pop noisy en plaçant la qualité des compositions avant le bruit. Tout comme les rouennais MNNQNS, qui assènent à la brit pop, des coups de guitares tendues. Bored In This Town et Come To Your Senses percutent et laissent présager du meilleur pour leur premier album qui paraîtra fin août sur le label anglais Fat Cat.
Sur la scène Loggia, un drôle de combo s’installe en préparant des instruments traditionnels non électrifiés comme un haegeum ou geomungo aux côtés de guitares et batterie. Jambinai joue un post rock noise. Le groupe séoulite atteint le graal dans les moments en apesanteur comme sur le très beau «Connection ». La fureur tribale accompagne Olivier Mellano à la guitare et aidé par une viele à roue joué par Yann Gourdon du groupe France et une cornemuse radicale. Tout ce déluge bruitiste prendra une tournure différente lorsque Kazu Makino de Blonde Redhead rejoint la super-formation pour quatre titres dont deux reprises de son groupe. La résidence des Eurockéennes aura donc réservé de belles surprises. Chez Rival Sons, la prestation ronronne comme un moteur de Harley Costumer 3.0. Ils jouent avec conviction, sont fans des 70’s et prône un classique rock très populaire auprès des bikers et hipsters.
Au même moment sur la grande scène, résonne une énorme basse qui annonce Alpha Blondy. Dans un costard pétrole, le leader ivoirien se laisse porter par un groupe compact dont l’interprétation évite souvent les clichés. Prosélytiste en messager de la paix, Alpha l’éléphant accueille sur scène un gars en fauteuil roulant, le fait soulever, en prônant un message contre la différenciation. Et voila comment se retrouver en calbut face à 20 000 personnes. Comme les énervés d’Idles qui terminent leur concert dans la sueur et en slip. Malgré un concert fougueux, la voix de Joe Talbot a perdu en nuance ça qu’il a gagné en rage et qui n’enlève en rien le plaisir de se prendre Mother et 1049Gotho dans les tympans. Les cinq anglais jouent toujours comme si leur vie en dépendait, à fond même si leurs compositions manquent de finesse par rapport aux… Shame. Parcourir 150 m et se retrouver au Loft à New York ? C’est possible aux Eurocks en allant voir et écouter Kompromat.
Le duo a particulièrement soigné les lumières laser et sa scénographie. Derrière ce projet se cache Vitalic, qui balance ses beats et séquenceurs voluptueusement puissants, et la chanteuse Rebekka Warrior (entendu chez Sexy Sushis et Mansfield TYA) retient toute l’attention par un jeu de scène où plane le mystère et dont le chant s’inscrit dans une lignée Kas Product / Essaie Pas. Possession ou Auf Immer und Ewing transforme la plage en dancefloor, quant sur des sons proche du Rolling and Scratching de Daft Punk, le magistral « Herztod » provoque l’ hystérie collective. La chanteuse scande ses paroles en allemand derrière un rideau de laser rouge incandescent, les beats froids se réchauffent pour finir en vrille. Set parfait. Sur la Green Room, Jeanne Added tombe a pic. L’électro eighties minimaliste lui sied parfaitement, sa voix étant l’atout principal. Tour à tour espiègle et mélancolique, elle occupe la scène de manière ininterrompue dans son univers onirique. A coté et sans pression, Petit Biscuit vapote sa cool-house dans une atmosphère communicative pendant que le rappeur originaire du Queens a NYC Rich the Kid balance son groove bourré de mélodies électroniques dans une étuve d’ados pour qui le titre de son dernier album This World Is Yours résonne particulièrement juste.
Samedi 06 Juillet 2019
Hubert Lenoir a changé quelques musiciens et de look dans une version androgyne Roxy Club 1977. La musique s’est densifiée pour un set toujours foutraque mais remarquablement tenu. Entre Prince et Higelin, le québécois se lâche sur des incrustations free jazz ou funk et n’oublie pas la minute provocation en fin de set. Fille de Personne ou Recommence reçoivent un bel accueil, sans doute du a leurs passages radio. Pendant ce temps, un nuage étouffant émerge de la grande scène ou les Mass Hysteria font manger la poussière aux nombreux fans en scandant des Jump à tout va. Les rythmes sont toujours lourds, et la puissance est au rendez vous, tout comme le discours politique reste affûté. Rare, Weezer l’est en France. La veille à Paris, le groupe ouvrait pour Muse, cherchez l’anomalie. La formation américaine des 90’s a toujours cette classe dans la désinvolture avec laquelle ils envoient des tubes pop punk issus souvent de leur cultisme premier album appelé The Blue Album. Déconcertant de facilité, les musiciens désormais presque cinquantenaires jouent a la perfection, et assurent des choeurs dignes des frères Wilson. La voix impeccable de Rivers Cuomo lui permet de reprendre Take me Out de A-ha sans frémir, on ne dira pas la même chose de leur reprise de Toto qui frise la loufoquerie. Le chanteur fait le show, reprend a capella Buddy Holly en rappel pour terminer sur deux tubes Island In The Sun et Say It Aint So. Plus tard à la Loggia, les cinq membres de The Psychotic Monks sont au taquet. Les musiciens se livrent à une performance de haute intensité et leur noise est restitué sous forme de rouleau compresseur. Pendant que le second guitariste violente sa guitare, le chanteur filiforme vêtu d’une robe ne fait rien pour baisser la tension et les rythmes s’emballent. Au final, le magma sonore s’avère hypnagogique, mais les français ont l’attitude et le son, c’est déjà ça.
Textes et photos : Mathieu Marmillot