Alors que le troisième volet de sa série à succès Stranger Things vient d’être mise en ligne par Netflix, il est temps de faire un petit bilan sur cet « objet de désir » qui provoque à chaque nouvelle saison bien des débats.
La fascination toujours vivace de nombre de cinéphiles pour le cinéma fantastique et de science-fiction de la fin des années 70 et des années 80 demeure généralement un mystère pour ceux qui, comme nous, ont vécu cette période alors qu’ils étaient déjà adultes. Certes, nous eûmes droit à de bons films de l’ami Spielberg alors au sommet, et nous découvrîmes un John Carpenter bien pugnace, mais pourquoi donc vénérer jusqu’à l’esthétique crapoteuse de ce cinéma dont la seule vraie qualité était en fait l’innocence des premières fois ?
Or, s’il y a bien quelque chose qui a toujours fait totalement défaut à Stranger Things, c’est bien l’innocence : il ne s’agit ici guère que de recyclage de personnages, de situations et d’ambiances emblématiques, destinées à exciter certaines réactions pavloviennes chez le téléspectateur nourri à une nostalgie bien artificielle. Super 8 labourait déjà le même sillon, mais le faisait au moins avec un certain talent, largement absent ici. Car Stranger Things pourrait être l’exemple parfait de tout ce qui va mal dans l’univers de la série TV, enfant gâté de notre époque qui se croit tout permis : une écriture sans aucune rigueur, le format long permettant la redite et les scènes inutiles, une grande négligence quand il s’agit de la cohérence des personnages et des situations, et une banalité totale de la mise en scène des Duffer Brothers, en particulier, qui n’ont visiblement pas appris grand-chose de leurs maîtres en termes de gestion de l’espace et de création d’une ambiance anxiogène.
Or, après une première saison asphyxiée par ses « ambitions conceptuelles », ou plutôt marketing, la seconde pompait franchement son inspiration dans Alien et ça, et nous faisait une vraie faveur : moins de Spielberg, plus de Stephen King, avec cette dynamique toujours efficace du groupe d’enfants confrontés aussi bien à leur propre « mutation » de pré-adolescents, qu’à un monde extérieur de plus en plus dangereux, et surtout avec beaucoup de franche horreur, bien gore. Même si nombre de fans faisaient la grimace devant cette baisse sensible du niveau de sérieux de leur série adorée, il y avait là une piste à creuser pour que Stranger Things puisse perdurer.
Et cette troisième saison, qui déclenche encore plus de polémiques entre ceux qui se désespèrent du ressassement d’une formule déjà usée et ceux qui savent jouir au premier degré d’une forme bien dégénérée du cinéma fantastique « de papa », poursuit allègrement sur la même voie. Si nous ne prendrons pas la peine de faire l’interminable liste des citations et hommages (Terminator ? Zombie ? Red Dawn ? sérieusement…), nous ne cacherons pas notre plaisir devant les outrances franchement crétines d’un scénario qui n’hésite plus du tout devant le « too much » : cette base soviétique installée sous la petite ville de Hawkins, c’est quand même du nanan pour tous ceux qui sont nostalgiques des films américains crétins sur la guerre froide, les savants fous et leurs hommes de main sadiques, non ?
Certes, les premiers épisodes sont lents, mais ils ont le mérite de s’intéresser aux personnages (affrontant le délitement de leur monde enfantin pour affronter leurs premiers émois sexuels et amoureux – que du classique…) et surtout à la ville (avec cette arrivée d’un gigantesque mall clinquant, ouvert grâce à la corruption des élus, et mettant radicalement fin au petit commerce local). Mais ensuite, nous avons droit à un impeccable tour de montagnes russes (!), bien simpliste et bien sanglant, qui ne peut, pour peu que nous levions les bras en l’air tout au long du trajet, que provoquer des cris d’excitations. Rires en rafale devant des situations délicieusement grotesques et devant ce monstre ressorti bien commodément de l’univers parallèle une nouvelle fois encore ré-ouvert, qui ressemble surtout à une pile nauséabonde d’excréments, gloussements de dégoût devant les nombreuses scènes gore, on est ici dans un plaisir franchement régressif. Nous regretterons quand même le dernier épisode, fastidieux et donc pas au niveau du délire qui l’a précédé, et qui se termine sur de longues scènes qui se veulent lacrymales autour de la disparition d’un personnage central de la série (l’effet Game of Thrones ?), et sur la séparation de nos jeunes héros. Séparation à la quelle on ne croit pas un instant, une quatrième saison étant en chantier.
Eric Debarnot