Le français Losange revient avec sa techno pop légère dans un second album fringant et joyeux (Soul Chopper) qui donne immédiatement envie de danser. Quant à ses goûts musicaux, ils tranchent pas mal avec la musique qu’il produit. La preuve ci-dessous…
En 2017, on découvrait la musique de Losange dans un style électro minimaliste, avec des morceaux aux sonorités vintage très sympas. Près deux années ont passé depuis Quartz et voici que le producteur revient dans un registre sensiblement différent, inspiré à la fois de Giorgio Moroder, The Strokes ou Wendy Carlos. Comme le précédent LP, Soul Chopper a lui aussi été composé très vite, avec toujours l’idée préserver la clarté et l’aspect naturel des sons. Et ça fonctionne parfaitement bien. Car derrière l’aspect 8 bits Lo-fi de l’ensemble, on entendra des sonorités électroniques très claires et très pétillantes qui viennent servir de colonne vertébrale aux morceaux instrumentaux concoctés par Benoit Baudrin, le musicien qui se cache derrière l’entité Losange.
Ce dernier nous fait découvrir quelques un de ses ses disques favoris à travers une sélection 5+5 assez étonnante.
5 disques du moment :
Gamelan Sekar Jaya – Music and Dance of Bali
Pour mon prochain album, je m’intéresse aux musiques modales et traditionnelles, et j’avais notamment en tête les musique javanaises, avec ces morceaux percussifs assez virtuoses, tout en dissonance qui troublent et tendent vers l’étrange. J’ai trouvé cet album sur une chaîne youtube qui se nomme « cassette tape cemetery », quel concept magnifique… Cette musique javanaise, contrairement à d’autres, possède de la hargne, qui perdure pendant tout le disque. J’aime la façon dont la musique est structurée pour occuper le temps, cela bâtit petit à petit une énergie qui fait rentrer en transe.
Telemann – Concertos for woodwind instruments
On pourrait dire que Telemann est l’antihéros de Bach. Ils étaient contemporains, mais contrairement à Bach, Telemann était très célèbre en son temps. Telemann sombrera ensuite dans l’oubli tandis que Bach deviendra le compositeur le plus estimé. Telemann était plus dans la complaisance, il y a beaucoup d’oeuvres qui ont mal vieilli, mais dans le lot il y a des petits joyaux de formes et d’émotions. Très prolifique, il a composé plus de 4000 oeuvres, c’est d’autant plus marrant pour un mélomane de chercher dans cette mine la perle rare, et c’est rassurant de se dire qu’elle est potentiellement sans fond.
Haydn – Sonates et fantaisie – Jean-Efflam Bavouzet
Quand on écoute une symphonie d’Haydn, aux premiers abords, on a l’impression d’entendre une caricature de musique classique. Or quand on connaît l’Histoire, on ne peut pas dire ça puisque c’est lui qui a plus ou moins inventé ce genre. Mozart quant à lui n’était pas un inventeur de formes, mais il a amené au firmament le genre. Les sonates au piano était pour Haydn un champs d’expérimentation, dont la portée était moins pour le grand public que pour les connaisseurs et lui-même. L’interprète ici est un français, qui apporte avec son piano Yamaha un touché très moderne, dépoussière des oeuvres qui à l’époque étaient jouées sur des instruments comme le clavecin ou le piano-forte dont l’expressivité est moindre. Il y a une grande joie et un esprit espiègle dans ce disque.
Jean-Sebastien Bach – Suites française – Glenn Gould
Dernières acquisitions du papa Bach. Joué encore et toujours au piano par son plus fidèle serviteur Glenn Gould. À la première écoute, le corpus semble mineur, assez convenu et linéaire, les bâillements arrivent mais ce n’est pas l’ennui qui pointe mais plutôt la quantité d’information à absorber qui fatigue. Au fil des écoutes on commence à comprendre la logique, on retrouve comme sur d’autres de ces corpus, une idée directrice qui va en se complexifiant par le biais de toutes sortes d’inventions et de variations. C’est tellement en avance pour son temps, il invente 250 ans plus tôt le concept d’album. Bach maîtrise comme personne la composition, le contrepoint, on a donc à l’écoute une musique parfaitement logique, mais il ne faut pas oublier que Bach est Bach parce qu’il y a, tapis sous le déluge intellectuelle, une grande émotion, calme et sereine, qui transparaît par petite touche, l’émotion de quelqu’un de profondément croyant, qui ne fait de la musique que pour lui-même et Dieu.
Fang du Gabon
Ce disque de percussion surprend par ses rythmes complexes. Comme si l’on entendait l’enregistrement d’un ethnologue rencontrant une tribu qui n’aurait jamais encore eu de contact avec le monde extérieur. Qui a son propre univers mental, qui est encore en symbiose avec la nature et les éléments. Une musique des origines, une musique fonctionnelle reliée à la spiritualité.
5 disques pour toujours :
The Butterfly Ball and the Grasshopper’s Feast – Love is All
Love is all est un album de l’âge d’or des studios des années 70. Un pur album de producteur qui invite les plus grandes stars du chant à venir poser leur voix sur des chansons écrite de mains d’orfèvre. On y ressent encore la vibe des années hippies, mais amplifié par la caisse de résonance d’une science du studio arrivé à maturité. J’aime notamment ces morceaux où l’on peut entendre un synthétiseur Moog, joué comme un vrai instrument avec une expressivité qui n’a rien à envier aux instruments acoustiques.
Meat Puppets – Up on the sun
Meat Puppets m’évoque l’ambiance du sud, ses paysages minéraux et désertiques, son architecture défoncée par cette lumière dure. Le parallèle avec la terre des Meat Puppets se fait naturellement puisqu’ils viennent de l’Arizona. À cela il faut y adjoindre le cannabis, qui rend tout bizarre jusqu’à la plus simple des chansons, casse les lignes, fait vriller la perception, nous fait rentrer dans une épopée. Il y a ces harmonies comme un mur de son grungien. Une voix qui déraille sur son fil laissant sans fard apercevoir sa fragilité, et son honnêteté.
Air – Talkie Walkie
L’album le plus putassier d’Air peut-être, avec une production assez rentre dedans, et une pochette dégueulasse. Celui aussi qui a eu le plus grand succès public. Mais peut-être celui aussi où ils sont au sommet de leur art, d’une maîtrise de l’écriture d’une chanson, d’une orchestration brillante qui mélange instruments acoustiques et électroniques, avec une intelligence qui les met au dessus du lot, et, pour moi en tout cas, une charge émotionnelle relié à l’adolescence trop insoutenable pour que je l’écoute encore.
Grateful Dead – American Beauty
Un des albums qui est sorti de ce Big Bang que représente les années hippies, ce laps de temps si court et pourtant si fécond qu’on a du mal à y croire. Les Grateful Dead, précurseurs du mouvement dans le quartier de Haigh-Ashbury de San Francisco resteront fidèles au mouvement originel. On ressent dans leur musique une ôde à l’Amérique des pionniers, une fascination pour cette époque presque biblique, qu’ils abordent avec cet esprit ouvert et novateur, qui fait qu’on a l’impression d’entendre de la country expérimental, harmonisée avec des choeurs digne d’un requiem.
Robert Wyatt – Rock Bottom
Robert Wyatt était batteur et chanteur au sein de Soft Machine, sorte de groupe de jazz fusion d’université un peu pédant. Et puis il s’est défenestré, s’est retrouvé paraplégique, et dans sa chambre d’hôpital a dû repenser sa vie. Alors il a commencé à faire de la musique tout seul et de cela est né Rock bottom. Toucher le fond pour atteindre la grâce, faire de la musique comme réconfort contre le sort, et sans sans rendre compte être un précurseur d’une musique de chambre. Il n’y pas d’arrière-pensées, juste quelqu’un qui s’évade dans ses rêveries, se soigne et revit par le biais de la musique.
juillet 2019