La troisième partie de La Casa de Papel vient d’être mise en ligne : bonne nouvelle pour ceux qui sont accros et mauvaise nouvelle pour les autres, les défauts et les qualités clivantes des deux premières parties sont toujours là. Peut-être même encore exacerbées !
Bon, soyons lucides : La Casa de Papel, c’est vraiment n’importe quoi, et il est si facile de faire des « trous dedans » que ce n’est même pas amusant : n’importe qui dont le cerveau n’a pas encore été détruit par les drogues de divertissement ou par l’abus de réseaux sociaux ne pourra qu’être consterné par l’incohérence de la plupart des personnages, l’invraisemblance complète des situations, le franc n’importe quoi des scènes de mitraillage général, le ridicule consommé des passages sentimentaux qui s’enchaînent en dépit du bon sens. Donc, objectivement, la Casa de Papel est un autre truc médiocre signé Netflix. Un truc dont on peut même avoir un peu honte, comme lorsque naguère on aimait les exploits absurdes de Jack Bauer…
Sauf que, comme à l’époque de 24 Heures Chrono justement, on est ici devant un objet irrémédiablement addictif, jouissif, incitant au binge watching le plus régressif : il est finalement difficile de ne pas se prendre au jeu, de ne pas poser son cerveau sur la table du salon à côté des chips pour passer une nuit complète à faire tourner la planche à billets (pour les deux premières parties) ou à fondre des lingots d’or (pour cette troisième partie) avec Tokyo et les autres attardés sous leurs masques de Dali, et monter des manipulations absurdes avec le « Professeur »… C’est tout simplement trop bon, comme un pot de Nutella, ce truc malsain et pas éthique qu’on engloutit malgré tout.
Comme j’aime bien rationaliser mes erreurs, je dirai que tout amoureux de l’Espagne ne peut de toute manière que craquer devant l’usage pétaradant – et tellement juste – du langage populaire espagnol – voire souvent andalou (à voir en VO, pour ne pas passer à côté de cette superbe vulgarité). Que les personnages de Berlin dans les deux premières parties, et surtout de Nairobi (cette gitane plus vraie que nature, à la fois hilarante et bouleversante) sont magnifiques et rattrapent largement le reste.
Alors, cette troisième partie ? Difficile d’en parler sans spoiler, ce qui serait quand même dommage. Eh bien, pour ne prendre aucun risque, les scénaristes en surchauffe ont copié à l’identique le principe des deux premières parties : ils ont imaginé une deuxième attaque, cette fois contre la Banque d’Espagne et ses réserves d’or, avec pour objectif suprême de libérer Río tombé aux mains du gouvernement et torturé dans une base secrète type Guantanamo. Les détails délicieux et absurdes de ce deuxième cambriolage colossal ne sauraient être découverts qu’au fil d’épisodes constamment survoltés, comme il se doit… en laissant un peu de côté cette fois les passages « émotionnels » qui étaient la pire faiblesse de la série, jusqu’aux derniers épisodes où l’on retombe un peu dans ces travers pénibles. Rien de nouveau donc dans le scénario, les invraisemblances sont elles aussi colossales, mais le suspense est ininterrompu, et l’addiction garantie, et ce d’autant que les dialogues sont une fois encore formidablement hilarants, capturant impeccablement la volubilité castillane et le goût impossible de cette belle langue pour les insultes les plus sordides et les jeux de mots les plus crapoteux (Pour les fans de l’espagnol latino, précisons que la Casa de Papel intègre cette fois un nouveau personnage truculent, un Argentin, ce qui nous vaut également une réjouissante utilisation de l’idiome local !).
S’il y a une évolution dans cette troisième partie – mis à part le fait non négligeable que les cliffhangers pourris sont désormais réduits à la portion congrue –, c’est que la Casa de Papel intègre en un geste presque « meta » sa popularité au cœur même de son scénario, et assume une position plus clairement « antisystème » : difficile de ne pas y voir une démagogie frôlant le cynisme de la part d’une machine aussi clairement capitaliste que Netflix, mais on peut sans doute aussi accepter que la Casa de Papel prenne note de la haine populaire grandissante envers les politiciens, les banquiers et le système policier qui les protège et n’hésite plus pour cela à faire usage de la force la plus extrême. Même en reconnaissant toute l’ambiguïté d’un tel discours, il s’agit là d’une nouvelle coloration intéressante de cette troisième partie, qui se termine d’ailleurs de manière particulièrement dramatique, pessimiste, voire accablante… mais nous laisse surtout délicieusement suspendus, dans l’attente de la quatrième (et dernière ?) partie.
Eric Debarnot
La Casa de Papel – Partie 3
Série TV espagnole de Álex Pina
Avec Úrsula Corberó, Itziar Ituño, Álvaro Morte, Pedro Alonso, Alba Flores
8 épisodes de 50 min environ
Mise en ligne : 19 juillet 2019 – Netflix