Sans doute son nom ne vous dira rien ni celui de ce nouveau projet, Mirza Ramic et Saigon Would Be Seoul. sans doute l’évocation de son autre projet Arms And Sleepers ravivera quelques souvenirs Ambient ou Trip Hop chez vous. Everywhere Else Left Behind, premier album de Saigon Would Be Seoul risque de vous surprendre car le monsieur s’échappe dans de nouvelles pistes, plus proches du modern classical et du solo piano que d’effluves post-Rock. La belle réussite d’un disque hautement climatique.
Est-ce le fait de vieillir sans passer par la nécessité d’une application qui nous montre tels qu’en nous-mêmes dans 30 ou 40 ans ? Est-ce le fait de vieillir qui nous pousse vers une forme de contemplation et une délectation du silence harmonieux ? Un quelque chose qui relèverait de la quête et d’une recherche des origines, de ce qui un jour a fait jaillir ce que nous sommes et qui nous fera nous répandre en cendres quand l’instant sera venu.
Et si tout ce questionnement presque sensuel était contenu dans Everywhere Else Left Behind, le premier disque de Mirza Ramic sous le nom de Saigon Would Be Seoul ? Mirza Ramic, vous avez sûrement croisé son nom aux dos des pochettes de son groupe principal, Arms And Sleepers. Ici, c’est l’aboutissement d’un projet qui remonte à 2009 et sans doute, plus loin encore. On pourrait parler de catharsis ici car le désormais américain Mirza Ramic revient dans le territoire de son enfance dans l’ex Yougoslavie en guerre et s’autodétruisant, au point d’y perdre son propre père. On y entend le nécessaire besoin de se réparer, de revenir aux racines que l’on a presqu’oubliées,de dépasser le traumatisme pour faire revivre des émotions partiellement enfouies.
Il est étrange de voir un disque instrumental affirmer autant le sens comme le font les 19 plages de Everywhere Else Left Behind. Volontairement autocentré, l’album se décline entre peintures passées d’un quotidien disparu dans la ville en ruines de Mostar en Bosnie Herzégovine et la résurgence d’images bien actuelles de ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Il faut d’ailleurs prendre cette allégation au sens littéral car Mirza Ramic a choisi d’accompagner sa musique (et l’inverse est également possible) d’un court-métrage intitulé To Tell A Ghost. Rien que le titre de ce documentaire qui revient sur le parcours de reconstruction personnelle du musicien donne bien des indices pour qui souhaite pénétrer plus profondément dans cette musique sibylline et délicate.
Car finalement, ce qui semble principalement motiver Mirza Ramic, c’est de ramener à la vie ce père disparu durant le conflit balkan, de retrouver un peu de son identité perdue. On entend en ouverture quelques chants religieux que l’on se plait à imaginer orthodoxes. Et si la musique parvenait l’espace d’une infime seconde, d’une note à estomper le temps, à en nuire la patine, à annihiler son pouvoir toxique ? Ne cessant de faire des allers-retours entre présent, passé et futur incertain, Saigon Would Be Seoul nous bouleverse bien souvent. Convoquant aussi bien Milan Kundera, Albert Camus et son étranger ou encore Dubravka Ugresic et ceux-là magnifiés par les lectures habitées de Sofia Insua, Everywhere Else Left Behind pourrait être rapproché du Max Richter débutant, on pensera en particulier aux Blue Notebooks (2004) et peut-être plus encore à la tension dramatique de Sarajevo sur Memoryhouse (2002). Sauf que contrairement à Richter qui se laisse facilement emporter par un lyrisme (toutefois tout en retenue), Mirza Ramic reste au plus prés du silence et de la sobriété pour mieux déclencher le cliquetis doucereux d’une machine étrange, mi- boite à musique, mi construction humaine à remonter dans le temps.
Au plus prés d’une école française dans laquelle on rangerait Satie, Ravel, Alkan ou Schmitt, Mirza Ramic crée un monde en soi fait de miniatures concises comme autant de suggestions et autres impressions. chacun de ces titres contribue d’un rébus que l’on parvient à déchiffrer au fur et à mesure de notre écoute.Il recrée également un lien évident avec ses propres origines européennes. Les pièces instrumentales disent la perte et le manque, l’envie de réparer avec une lucidité modeste. Sauf qu’il ne s’agit pas ici d’une simple suggestion mais d’un besoin impératif à combler, d’une forme de carence à remplir, de celle qui ne quitte jamais vraiment celui qui l’habite.
Rarement, un disque parvient à nous arracher une larme, à nous ramener à notre état d’orphelin en devenir, à nos deuils en partance, à l’anticipation du chagrin qui nous attend là-bas au bout du chemin, en dedans de nous ou à l’arrière des choses. Ce témoignage de Mirza Ramic est précieux car il est d’une absolue sincérité et d’une remarquable vérité. Saigon Would Be Seoul fait des pas de deux entre méditations dans l’urgence, désirs d’oublis impalpables et résurrections temporaires. L’amour est parfois plus froid que la mort, disait l’autre en son temps, le temps peut devenir invisible aussi, quelques notes de piano devenirs pareils à des mondes contenus dans quelques poignées de secondes éternelles. Une poignée de minuscules détails qui nous arrachent le cœur.
L’effleurement des touches d’un piano n’a finalement jamais autant ressemblé au rythme tranquille du pas de deux personnes, celui d’un fils et de son père enfin retrouvés qui marchent ensemble sur un chemin tranquille.
Greg Bod