La chanteuse albanaise Elina Duni, au travers d’une voix pure comme l’eau des glaciers, nous invite à Partir et à retrouver nos racines folk européennes. Vertige des beautés d’un autre pays, peu connu mais ô combien riche d’une profonde culture de la chanson populaire et moderne : l’Albanie.
Invitée régulière du festival ZA Fest, qui se déroulait en ce début juillet dans les Alpes albanaises, pour la troisième année consécutive, Elina Duni nous donne l’occasion d’aller à la rencontre d’un pays, l’Albanie, et d’une langue, l’albanais, qui comptent de précieux représentants et que je vous propose de découvrir au travers de différents albums de la scène albanaise contemporaine.
Sans doute une des plus belles voix qui nous soient parvenues jusqu’ici. Une voix qui transporte, une transhumance émotionnelle que rien ne semble accrocher. Elina Duni, en bergère des âmes transfrontalières, nous convie au travers de son album Partir à prendre le baluchon du voyage et à se laisser porter par l’émotion ; rien que l’émotion. A la recherche d’un pays où l’exil serait roi, ou l’exil serait voix, remontant du plus profond du puits des temps anciens de la chanson, mais qui saurait en même temps se confronter aux sonorités modernes qui nous incombent, Elina Duni nous invite à ne pas oublier, qu’en chanson, l’essentiel se trouve sur le pli de l’émotion. Avec tout d’abord une joie, dans la délivrance du chant, une joie communicative qui s’arrache du plus profond d’une mélancolie qui est celle de l’exil (et de la solitude) mais aussi du partage obligé, né de cet exil, et des rencontres faites au gré des pays traversés, des cultures assimilées, pour nous offrir ce qu’il y a de meilleur et nous réconforter sous le baume d’une émotion pure.
Le temps n’existe plus, des espaces grandioses s’ouvrent à nous. L’Europe morcelée par les guerres et l’exil nous parait un immense lieu de réconciliation et de paix, au travers des différentes langues que maîtrise Elina Duni. Une voix si profonde et sûre, aux quatre points cardinaux, faite d’éléments qui surgissent dans la poésie des mots, portés par le cristal d’une tessiture qui nous rend toutes choses transparentes. On y entend l’eau pure des glaciers, l’embrasement des feux dans la nuit noire et profonde, l’air enchanteur des souvenirs d’une mémoire commune, la terre ancestrale foulée par tant et tant de migrations.
Une voix formée à une virtuosité jazz tacite, mais au fond tellement assimilée qu’il n’y parait plus rien du travail qu’a dû nécessiter un tel don de soi au travers du chant. Une voix qui n’hésite pas à aller à la rencontre de la folk européenne (finalement peu connue et bien souvent écoutée d’une oreille distraite). Avec cet album, vous ne pourrez pas échapper à ce qu’est réellement cette Europe folk : c’est à dire vous-même, dans votre plus profond état de solitude intérieure, à la recherche de quelque chose que vous pensiez perdu mais qui, par le miracle d’une voix, réapparaît comme une révélation des beautés enfouies au fond de votre cœur. Un continent que vous pensiez ne pas (ne plus) connaître, l’Europe, se révèle à nouveau être votre lieu, votre chez vous ; mais de partage avec d’autres.
Ainsi vous ne serez pas surpris, au détour de Partir, de découvrir plusieurs morceaux traditionnels kosovar, arménien, macédonien, albanais bien sûr, mais aussi suisse ; sans oublier le portugais avec cette merveilleuse version de Meu amor de Alain Oulman et José Carlos Ary Dos Santos. Jacques Brel est aussi présent avec une reprise de Je ne sais pas, un titre peu connu du grand Jacques que l’on découvre, ou redécouvre ici, avec un texte où il est bien sûr question d’amour et d’exil.
La voix d’Elina Duni, au travers de tous ces trésors de poésie et d’errance, semble planer au-dessus des partitions géographiques et historiques dont a souffert l’Europe, pour nous emmener, en musique, vers des territoires sublimés par la beauté. Partir est un grand disque. Partez, vous n’en reviendrez pas.
Dionys Décrevel