Dans l’univers bien encombré du piano solo et par extension du modern classical, il est parfois difficile de distinguer le bon grain de l’ivraie. La musique de Daigo Hanada fait assurément partie de ces œuvres au tanin puissant, que ce soient Ichiru son premier disque ou Ouka sorti il y a peu, le japonais distille un envoûtement charmant. Raison de plus pour cerner avec lui les disques qui l’ont forgé.
Dans le prolongement des productions de l’excellent label Schole Records, Daigo Hanada crée un univers délicat, illustratif et contemplatif sans jamais tomber dans le piège de la tiédeur sur les superbes Ichiru (2017) et Ouka (2019). Découvrons avec lui les bases de cette sensibilité.
5 disques du moment :
Amon Tobin – Fear in a Handful Dust
Amon Tobin, quand il sort un nouvel album, à chaque fois, mon esprit s’embrouille dans le bon sens du terme même s’il me serait bien difficile de vous expliquer en quoi un esprit peut être perturbé de la bonne façon. Mais écouter un disque d’Amon Tobin me met dans cet état, c’est comme une épreuve, une expérience. Bien sûr, tout le monde ressent cela en écoutant de la musique. Je ressens la même chose quand j’écoute les disques de Jon Hopkins, comme une sorte de confusion que les notes installent doucement dans ma perception des choses, une émotion. D’ailleurs, au moment où j’écris ces mots, j’écoute Fear In A Handful Dust et mon esprit s’égare… Un disque d’Amon Tobin est toujours un événement !
Alexandra Strélski – Inscape
J’ai découvert le travail d’Alexandra Strélski avec son premier album Pianoscope en surfant un peu par hasard sur Youtube. C’est la plus belle des manières de découvrir la musique de quelqu’un et Youtube permet ce genre de rencontres magiques surtout pour l’étudiant sans le sou que j’étais à l’époque. Je suis plutôt quelqu’un de timide et je suis encore surpris de mon culot d’alors car je lui ai envoyé un message sur Facebook pour lui dire combien j’adorais l’album. Huit ans séparent Pianoscope d’Inscape, je vous laisse donc imaginer mon impatience et mon excitation quand j’ai écouté ce nouveau disque pour la première fois. Tout est exceptionnellement beau sur Inscape, les accords, les mélodies, l’exécution de son jeu. A la lumière d’Inscape, on voit le chemin parcouru entre les deux disques, en particulier dans la manière dont elle prépare son piano mais aussi les techniques d’enregistrement qu’elle emploie. C’est absolument brillant ! J’ai suivi son exemple pour mes propres morceaux.
R Beny– Echoʼs Verse
Ma rencontre avec la musique de R Beny ou Adrian Cairns, comme vous préférez est assurément un de mes grands chocs de l’année 2018. Mon rapport à la musique passe toujours par un enthousiasme, je dois avoir un rapport passionnel à ce que je découvre. Je crois bien que ce disque a influencé Ouka. Echo’s Verse est un tel bonheur et ce voyage chargé d’atmosphères changeantes qu’il nous fait vivre tout au long du disque est tout simplement époustouflant. J’ai toujours été un grand fan de synthétiseurs modulaires. Ce que j’aime particulièrement chez R Beny et sur Echo’s Verse c’est l’approche minimaliste dont il fait preuve dans son travail du son. C’est une source d’inspiration pour moi, je pense qu’à l’avenir, ma musique sera encore plus habitée par ces sons modulaires.
Yoko Komatsu – Neumond
Ecouter la musique de Yoko Komatsu, c’est pour moi l’assurance d’un transport, d’un voyage dans un univers d’une fluidité absolue. C’est en partie grâce à son talent d’instrumentiste et son jeu absolument magnifique tout en délicatesse. Elle m’a invité dans son studio qu’elle a appelé Fluss. On a même fait un concert ensemble cette année pour le Piano Day à Tokyo. Ce concert-là et cette rencontre en particulier sont pour moi des moments si précieux, des expériences qui changent ma perception de la musique. Et puis de la voir jouer sur scène, c’est une chance si rare. Neumond fait partie de ces disques qui sont ce que j’appelle des disques amis, Neumond m’aide toujours à clarifier mon esprit et mes pensées, je suis sûr qu’il peut toucher plein de gens de la même manière.
James Maloney – Gaslight
Même si Gaslight de James Maloney est sorti en 2017, il reste pour moi d’une véritable actualité car je n’arrête pas de l’écouter tant je suis irradié par la beauté qui se dégage de cette musique. En plus je voulais lui donner un peu d’éclairage en le mettant en valeur dans cette sélection. Il m’a suffi de 5 secondes d’écoute du premier titre, Seascape, pour savoir que j’allais adorer ce disque si riche. C’est ce que l’on appelle un coup de cœur. La délicatesse de son jeu, son toucher si sensible du piano. Pendant des jours, je n’ai cessé d’écouter ce premier titre de peur d’être déçu par le reste du disque. Quand j’ai finalement poursuivi ma découverte avec le second titre, Blink, je suis littéralement tombé amoureux de cette musique. Gaslight, c’est l’assurance de ressentir tant de sentiments contradictoires, à la fois calmes et fiévreux. On passe par des instants calmes comme un piano qui chuchoterait doucement comme une voix féminine et l’instant d’après, on bascule dans des grandes explosions émotionnelles. Et la manière de James Maloney de conclure Gaslight avec Angel Wings, c’est du grand art ! James Maloney est signé sur le même label que moi, Moderna Records. Franchement quand j’écoute un disque comme Gasligjht, je suis très fier de faire partie du même catalogue que ce monsieur !
5 disques pour toujours :
Balmorhea – Constellations
Ce disque comme à peu près tous ceux de Balmorhea m’accompagne depuis un peu plus de 10 ans. C’est encore une fois grâce à Youtube que j’ai découvert Balmorhea avec Rivers Arms. Il y a des disques compagnons qui vous accompagnent toute votre vie dans les moments heureux comme les plus difficiles, Balmorhea est un compagnon fidèle et je lui suis aussi. J’ai passé des heures et des heures à écouter ce disque-là en boucle au fond de mon lit. Il a quelque chose d’immédiatement cotonneux et nocturne pour moi. C’est sans doute car je conserve le souvenir de l’écouter la nuit avec mon casque tout en regardant par la fenêtre ouverte de ma chambre le calme tranquille de la nuit dérangé parfois par un souffle de vent glacial. Bowspirit, Winter Circle ou encore Steerage And The Lamp sont de telles sources d’inspiration, une telle stimulation pour la créativité, ce que j’appelle l’imagination qui explose. To The Order Of The Night ou Palestrina sont en soi des formes si singulières qu’elles en deviennent une expression universelle.
Miles Davis – In A Silent Way
Cet exercice du 5+5 est bien difficile pour un musicien, d’autant plus pour quelqu’un d’aussi enthousiaste que moi mais quand j’ai commencé à réfléchir à cette sélection, un disque m’est venu tout de suite à l’esprit. Le genre de disque incontournable et sans conteste possible. Le disque à emporter sur une île déserte, celui que l’on emportera dans la tombe, celui que l’on offre à un nouvel ami, celui qui nous définit. Choisissez la proposition qui vous convient le mieux, moi mon choix est fait et c’est ce disque de Miles Davis, In A Silent Way. Je suis sûr que des œuvres d’art peuvent changer le cours d’une vie car je l’ai moi-même justement vécu avec ce disque. In A Silent Way a changé ma perception de la vie et m’a ouvert tout un tas de nouvelles voies que j’explore encore aujourd’hui. Je peux vous le dire en vous regardant droit dans les yeux, In A Silent Way est sans aucun doute possible l’un des documents les plus importants de tous les temps, non seulement pour moi mais aussi pour tout musicien qui se respecte.
Michael Andrews – Donnie Darko
C’est la B.O du film de Richard Kelly qui est sorti en 2001. J’ai d’abord découvert la musique du film avant de même le voir. Je suis directement tombé sous le charme du son de piano de Michael Andrews. Prenez des titres comme Gretchen Ross ou Rosie Darko, on est ébloui par le son si doux du piano et puis si vous écoutez attentivement, si vous laissez vos sens prendre le dessus, vous pouvez entendre toute la subtilité de son toucher, le frottement des parties mécaniques du piano. Il ajoute par petites couches discrètes d’autres sons sur les pièces de piano si subtilement et de manière si minimaliste que cela fût pour moi à l’époque une révélation. Cette bande originale a fortement influencé mon approche de l’enregistrement même si le film et la musique sont sortis il y a presque 20 ans.
Nils Frahm – Felt
Autre choix évident pour moi quand j’ai commencé à travailler sur cette sélection. Il s’est imposé à moi comme un incontournable. Je ne pouvais faire autrement que de le mentionner. Cette splendeur parfaite a inspiré tellement de musiciens dans la scène néo-classique, moi compris que je crois que l’on peut dire qu’il est à lui tout seul à la base d’une école musicale, d’un genre. C’est courant 2010 que j’ai découvert pour la première fois son Unter/Uber puis je me suis rendu compte que ce titre était inclus sur Felt. Je ne vous dis pas la joie que j’ai ressenti à l’écoute de ce disque. A l’époque, il était encore confidentiel, j’avais l’impression d’avoir trouvé un secret bien gardé, un joyau. Aujourd’hui tout le monde le connaît et c’est selon moi un succès plus que mérité qui a permis à la scène néo-classique de rencontrer un plus large public. Ce que j’adore plus particulièrement dans le piano, c’est ce jeu étouffé qui joue sur les silences et Felt a été le premier disque qui poussait à un tel niveau de perfection cette vision du jeu du piano. Les prises sont juste sublimes. Unter occupe une place totalement à part dans mon cœur.
Keaton Henson – Birthdays
Même si j’aime les paroles de Keaton Henson, ce sont les mélodies toute en délicatesse qu’il crée qui me bouleversent. Birthdays est d’une telle beauté, comme des confidences que l’on te chuchoterait doucement dans le creux de l’oreille. Il est presqu’impossible pour moi de distinguer un disque du reste de la discographie de Keaton Henson car je les aime tous pour des raisons très différentes mais comme j’avais le chiffre 5 pour contrainte, je me suis arrêté sur celui-là mais je mets fort à parier que si vous revenez me voir la semaine prochaine me poser la même question, je pourrai bien vous en proposer mille autres, y compris les autres disques de Keaton Henson.(Rires)
juillet 2019