Etrange destin que celui du mancunien Nev Cottee qui , sur le tard, à la faveur de son troisième disque solo, le superbe Broken Flowers en 2017, est révélé à un plus large public. Pourtant, le monsieur n’est pas un jeune perdreau de l’année, loin s’en faut. Ayant aussi bien vécu les temps exaltants de l’Hacienda qu’ayant cotoyé Neil Gallagher d’Oasis, Nev Cottee se raconte à la faveur de la sortie de River’s Edge, son quatrième et somptueux disque solo.
Benzine : Nev Cottee, vous faites partie de ces artistes découverts d’un plus large public sur le tard. C’est avec votre troisième album, Broken Flowers que votre renommée s’est faite plus grande. Comment expliquez-vous cet engouement par rapport aux deux premiers disques qui sont passés plus inaperçus ?
Nev Cottee : Il y a tellement de disques qui sortent, peut-être trop. Je ne pourrai pas t’expliquer pourquoi Broken Flowers a touché tant de gens. Quand un disque sort, ce qui est dur pour moi c’est que je n’ai plus du tout de contrôle une fois qu’il rentre dans les magasins et quand je te parle de magasins, je veux dire en particulier cette escroquerie que sont pour les musiciens les plateformes de téléchargement comme Spotify par exemple, cette « boutique » qui obtient tout ce qu’elle a en stock gratuitement.
Benzine : Vous êtes né à Oldham, une banlieue de Manchester. Vous avez fait vos premières armes dans des groupes comme Proud Mary par exemple. J’ai lu dans une interview que vous aviez pas mal fréquenté l’hacienda en pleine explosion house alors que vous écoutiez plutôt du rock et le son West Coast façon Laurel Canyon par exemple. Quels souvenirs conservez-vous de ces années fondatrices pour votre musique ?
Nev Cottee : On se rend compte que prendre du recul est un processus étrange. Pour être franc, on pensait que tout se passait à Manchester tout le temps. Pour nous c’était la routine, quelque chose de normal en somme. Ce n’est qu’après qu’on s’est rendus compte de la chance que l’on avait à vivre ces instants-là dans cet endroit-là. Toute la jeunesse de Manchester était rassemblée là, cela a forcément créée une belle énergie créative grâce à ce club, l’Hacienda. Bon c’est vrai que mon groupe de copains et moi on était plus branché Rock et que la musique électronique m’emmerdait. J’ai découvert la Dance Music en vieillissant.
Benzine : Si je vous dis Sour Mash ? (le label de Noel Gallagher qui signa Proud Mary, le premier groupe de Nev Cottee)
Nev Cottee : Cela me rappelle cette découverte de la vie en tournée et ma découverte du Royaume-Uni dans une vieille camionnette à enchaîner les concerts et les cuites. On s’est bien marré et on a rôdé notre son ensemble. Cela me fait penser à voyager à travers le Royaume-Uni dans une vieille camionnette pour faire des concerts tous les soirs et me soûler. De beaux jours. Nous nous sommes éclatés et avons appris de quoi il s’agissait.
Benzine : Qu’avez-vous appris de votre relation avec Noel Gallagher ?
Nev Cottee : Déjà pour commencer que c’est une immense star et pas moi ! Cela permet de savoir ce que l’on veut de la vie. Noel a toujours été un mec génial. A l’époque de l’Hacienda, c’était un peu la figure paternelle qui avait toujours une bonne histoire à raconter. Ce qui nous a réuni lui et moi c’est notre amour du Rock and roll, cela nous attiré l’un à l’autre comme des aimants. Après, on est parti sur l’aventure de Proud Mary et Noel nous a soutenu à fond. Franchement, ce que j’aime chez ce mec, c’est que malgré son immense succès, il n’a pas changé d’un iota. Il est d’une simplicité absolue. Je vis d’ailleurs dans son ancien appartement à Manchester.
Benzine : Quel fut votre apport dans Proud Mary et ces expériences de groupe vous ont appris quoi pour votre carrière solo et votre manière d’appréhender la scène mais aussi et surtout la composition ?
Nev Cottee : Cela me paraît tellement loin maintenant, on aurait voulu être les Stones puis quand on a découvert The Band, on voulait être comme eux. Honnêtement, travailler en groupe, ce n’est pas toujours aisé à gérer, il y a trop de gens et aussi trop d’ego. Au moins, maintenant que je bosse en solo, tout relève de ma responsabilité et cela me passionne.Écrire pour soi-même est beaucoup plus gratifiant que de le faire pour quelqu’un d’autre.
Benzine : Comment expliquez-vous l’importance de Manchester dans l’histoire de la musique et pensez-vous que ce soit toujours d’actualité aujourd’hui ou que plutôt Manchester vive sur son glorieux passé ?
Nev Cottee : Pour moi, il y a deux raisons principales. La première, c’est le fait que Liverpool est une ville portuaire et plus particulièrement ses docks qui nous apportent l’or de New York et des Etats-Unis. Par or, je parle aussi bien du métal précieux que des joyaux musicaux que l’Amérique a inventés. Et puis il y a aussi l’influence irlandaise qui est indéniable et qui retrouve dans les pubs en particulier où l’on entend une musique live et une culture encore aujourd’hui que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Les mancuniens disent que c’est la pluie et que c’est parce qu’il n’y a rien d’autre à faire mais franchement, je ne crois pas. Je pense que Manchester vit trop sur ses acquis et qu’il faudrait savoir passer à autre chose. Je n’en peux plus de ces livres, ces pièces de théâtre ou ces séminaires sur Joy Division, je crois bien que je pourrai commettre un crime si on me reparle de Ian Curtis. The Buzzcocks et The Happy Mondays étaient selon moi les meilleurs groupes à sortir de Manchester. Un groupe comme les Happy Mondays n’a jamais obtenu la reconnaissance qu’ils méritaient et pourtant leurs disques tuaient la concurrence.
Benzine : Comment êtes-vous passé de simple instrumentiste à chanteur et compositeur ? Quel a été le déclic qui vous a libéré ? Auriez-vous pu vous satisfaire de n’être qu’instrumentiste ?
Nev Cottee : J’ai toujours écrit des chansons mais je crois bien que j’ai pu enfin m’affirmer comme compositeur quand j’ai rencontré Mason Neely, mon producteur.
Benzine : On vous rapproche souvent de Lee Hazlewood ou de Scott Walker. Je trouve qu’il y a une certaine proximité avec le travail de Richard Hawley pour une volonté commune à travailler un son en dehors du temps. Malgré des références très américaines dans un cas comme dans l’autre, vous sonnez très anglais. Qu’en pensez-vous ?
Nev Cottee : J’adore ce que fait Hawley, c’est une influence énorme pour moi. J’aime beaucoup spn attitude, il maîtrise le sujet qu’il évoque dans ses chansons et j’aime ça. Plus je vieillis et plus je suis moi-aussi attiré par ce rapport à mon pays, l’Angleterre. C’est un sujet sans fin, sans doute que Ray Davies des Kinks a tout épuisé mais je me plais à croire qu’il y a peut-être quelques interrogations modernes à développer. Et puis je ne veux pas me restreindre sur le plan musical. Qu’est-ce que c’est que ces groupes qui sonnent tous de la même façon de disque en disque ?
Benzine : Vous citez à l’envie Serge Gainsbourg et Jean-Claude Vannier comme influences dans votre travail d’arrangeur. Il serait difficile de ne pas évoquer la dimension arrangement quand on évoque votre musique, Nev. Arrivez-vous en studio avec une couleur que vous souhaitez donner au disque ou vous laissez-vous emporter plutôt par l’accident ?
Nev Cottee : Je vais te faire une réponse prudente… Un peu des deux. C’est là que Mason montre toute sa mesure. En général, j’arrive en studio avec une vague idée et Mason a ce talent de me faire accoucher du reste ou de trouver le petit bonus qui rend vivante la chanson. On fonctionne dans une relation bien ouverte et démocratique., Je ne suis pas sûr que c’était vraiment le cas entre Gainsbourg et Vannier.
Benzine : Dans votre travail sur votre voix, on vous rapproche souvent de Tom Waits ou Leonard Cohen. Est-ce lié à cette économie d’effets dans l’émotion ?
Nev Cottee : C’est ce qui sort quand je chante, je ne force rien. Des gars comme Tom Waits ou Leonard Cohen sont passés maîtres dans l’art d’aller au cœur d’une chanson. Il s’agit tout d’abord de sincérité, tu crois en la chanson que tu écoutes car la voix te bouleverse. Si tu n’arrives pas à ce résultat, la chanson est bonne à jeter.
Benzine : Pour Broken Flowers, vous êtes parti en Inde. Pour River’s Edge, à Majorque. Dans le processus créatif de Nev Cottee, y aurait-il une nécessité de dépaysement pour stimuler l’inspiration ? Reste-il des traces de ces pays dans ces titres selon toi ?
Nev Cottee : C’est en m’éloignant de Manchester que je me rapproche paradoxalement de Manchester. M’éloigner est pour moi une nécessité. Manchester implique trop de distractions pour moi. Quitte à s’éloigner, autant aller dans un pays chaud. Cela stimule ma créativité.
Finalement, les pays où je pars écrire mes disques n’ont que très peu d’influence sur le résultat final, à savoir le disque. Mais attention au prochain épisode, cela pourrait changer, attendez-vous à être surpris l’année prochaine par mon disque Reggae Cambodgien (Rires)
Benzine : Malgré cette volonté de dépaysement dans la composition, comme je vous le disais précédemment, votre musique est éminemment anglaise. Le processus de composition serait donc un perpétuel jeu de mouvements pour vous, entre introspection et recul face à soi ?
Nev Cottee : Je me reconnais bien dans cette description. Pour tout voir et tout découvrir, je dois couper les ponts de moi-même et de mes habitudes et de ma routine. Comme tout le monde en somme. Découvrir de nouveaux endroits, de nouvelles personnes, c’est terriblement excitant et revigorant. J’adore voir comment la vie se fait ailleurs. Le monde est grand, va le découvrir, cela t’ouvrira grand l’esprit
Benzine : Aussi paradoxal que cela puisse paraître, vous dites de River’s Edge, disque que vous avez composé à Majorque, qu’il dépeint de manière pastorale des coins cachés de la campagne anglaise. Que veut dire ce River’s Edge pour vous et y a-t-il une forme de ruralité assumée dans votre musique, quelque chose qui vous dégagerait des clichés du Rock ?
Nev Cottee : J’en ai fini avec le Rock And Roll. J’ai encore parfois quelques rares moments mais je me sens chez moi quand je suis dehors au contact de la nature. J’ai pourtant été un gars des villes pendant des années mais ce qui m’attire désormais, c’est la tranquillité et la plénitude de la nature. S’asseoir sous un arbre avec une guitare toute une journée durant c’est un peu mon concept du bonheur (Rires) .
Benzine : Quelles ont été les sources d’inspiration à la naissance de River’s Edge ?
Je crois que cela peut se résumer à deux mots…Neil Young. Après cela, j’ai tout dit. Juste lui et sa musique. Probablement pas la meilleure façon de commencer un album – en hommage au grand homme – mais voilà. C’est ce que je voulais faire. J’ai bien fait d’essayer.
Benzine : Pour River’s Edge, vous avez collaboré avec Nick McCabe de The Verve ou encore la chanteuse madrilène Veronica. Comment se sont faites ces rencontres ?
Nev Cottee : Nick est un pote de pote et il nous a branchés. Incroyable guitariste. Veronica est une énigme qui a disparu. J’essaie de la retrouver….
Benzine : Quels rapports entretenez-vous avec vos disques avec le recul ? Etes-vous un éternel insatisfait pour qui écouter ses anciens disques est douloureux ou avez-vous un rapport apaisé à vos créations ?
Nev Cottee : Je ne peux pas les écouter. Comme le dit Scott Walker, on n’entend que les erreurs. Et dieu sait que Scott Walker a fait si peu d’erreur dans sa vie. No regrets… (Rires)
River’s Edge, le nouveau disque de Nev Cottee est sorti le 28 juin 2019 sur le label Wonderfulsound.