Factory est un film virulent sur des ouvriers russes qui prennent en otages leur patron dans une vieille usine métallurgique, près de Moscou. Une parabole politique sévère, qui montre que la lutte des classes n’est pas morte…
Le talentueux metteur en scène russe Yuri Bykov, découvert en France en 2013 grâce à son nerveux The major puis avec le brillant L’idiot, continue d’ausculter les délitements et la corruption de la société russe avec son nouveau projet, Factory… Un long métrage qui a été présenté et très remarqué lors du dernier Festival du film policier de Beaune 2019.
Ce nouvel opus sans concession démarre comme un drame social, avec l’annonce faite par un oligarque à des employés non payés depuis plusieurs mois, de la fermeture de leur usine qui n’est plus assez rentable. L’un d’entre eux, ancien des forces armées et borgne surnommé « Le Gris » à cause de son visage taciturne et sa gueule cassée, révolté par cette annonce arbitraire, propose un stratagème de kidnapping à d’autres collègues, afin de soutirer une grosse somme d’argent à leur patron sous forme d’une rançon.
Yuri Bykov réalise d’entrée de jeu une mise en place pertinente des enjeux et du contexte social de l’histoire, et déploie une magnifique mise en scène, immersive et très maîtrisée, utilisant de judicieux travellings latéraux à l’intérieur d’un huis clos plongé dans la pénombre, où les décors de l’usine offrent une atmosphère théâtrale et anxiogène. L’auteur utilise sa caméra avec acuité au cœur de cet espace géographique oppressant, pour mieux décliner un récit tendu, savamment construit, où le scénario révélera de nombreuses ambiguïtés.
Ce polar sombre et hargneux ne manque pas de scènes de tension, et même d’action (notamment une tentative d’assaut absolument remarquable), mais il s’arc-boute parfois trop sur une narration bavarde et un peu manichéenne, passant un message « anticapitaliste » abrupt pour dénoncer la précarité qui ravage les vies. Néanmoins, la sidérante maîtrise formelle, les rebondissements psychologiques surprenants de l’intrigue, les ellipses et le montage sec, sans oublier les interprétations intenses de Denis Shvedov et Andrey Smolyakov, tout concourt à créer une implacable – et cinématographiquement très réjouissante – tragédie.
Venez plonger au cœur de Factory, vous verrez la révolte surgir derrière les machines… Âpre. Nihiliste. Puissant.
Sébastien Boully
Factory (2018)
Film russe réalisé par Yuri Bykov
Avec Denis Shvedov, Andrey Smolyakov, Vladislav Abashin
Genre : Thriller / Drame
Durée : 1h49
Date de sortie : 24 juillet 2019