Second album des Violent Femmes depuis leur reformation en 2013, l’excellent Hotel Last Resort nous pose même une question fondamentale : et si c’était toujours là un groupe essentiel ?
En 2013, les Violent Femmes, l’un des groupes les plus littéralement extra-ordinaires des années 80, se reformaient. Les premières écoutes de We can do anything, leur album de 2016, nous avaient filé un sacré coup de bourdon : nos Violent Femmes adorées – celles des deux premiers albums, inoubliables – étaient de retour, avec ce son si caractéristique (country punk, qu’on appelait ça à l’époque…), avec cette voix tellement reconnaissable de Gordon Gano. Mais, derrière la forme, impeccable, on ne retrouvait plus grand chose de ce maelström de mauvaises vibrations post-adolescentes, de ces dérapages vicieux qui ouvraient des gouffres sous nos pieds, et nous avaient complètement tourneboulés… : un peu plus de 30 ans après le choc inoubliable du premier album, le réveil était sévère. Pourtant, force était de reconnaître que leurs chansons restaient terriblement bien troussées, avec des mélodies qui tenaient la route, des textes hilarants, et même assez d’énergie pour que l’album fasse illusion.
En 2019, sans doute parce que nous n’en avons justement plus, des illusions, cet Hotel Last Resort nous semble d’emblée bien plus aimable : la nostalgie est balayée, nul besoin d’y revenir éternellement. Profitons plutôt de ces rythmes toujours aussi enlevés, de ce son acoustique basique de chez basique, de cette voix incroyable qui énonce des textes la plupart du temps formidablement jouissifs, que la maturité a certes dépouillés de leur angoisse torturante, mais qui savent retrouver encore assez régulièrement des accents de sincérité bouleversants… Comme sur le sublime Paris to Sleep, hommage frémissant et désespéré à notre ville blessée par le terrorisme, où Gano évoque presque Leonard Cohen, c’est dire : « All the horror and the terror may tear us and scare us to sleep / Or it may bear us to Paris where I came to weep… ».
Sinon, il faut bien reconnaître qu’en général, c’est la douce folie qui prime, comme sur l’absurde introduction au phrasé hip hop, Another Chorus, où Gano règle son compte au format traditionnel de la pop song (« A verse is like a chorus if you sing it more than once / This feels like it’s been going on for days and weeks and months / What’s the singer saying, i’d give it up to know / But here it comes again (oh no) oh no, oh no, oh no… »), ou sur l’incroyable – et même scatologique, en passant – délire gospel a capella de Sleepin’ at the Meeting. D’un autre côté, la reprise de I’m Nothing, datant de 1994, prouve que le trio, devenu désormais quatuor, sait encore balancer un hymne punk qui décoiffe : « Are you Republican or Democrat? / A liberal fascist full of crap? / I’m nothin’, I’m nothin’ / … / Are you gay or are you straight? / Do you believe in love or do you believe in hate? / I’m nothin’, I’m nothin’ ». Et puis il y a LE morceau ambitieux, si, si, de l’album, un Hotel Last Resort sur lequel Tom Verlaine pose ces notes délicates qui le rendent reconnaissable entre mille, un Hotel Last Resort qui atteint presque la longueur d’une chanson de groupe « normal » (Rassurez-vous, c’est la seule exception d’un album qui préfère systématiquement la litote !)…
Oui, et l’album, merveilleusement et parfaitement court, se termine sur un intense God Bless America, message sépulcral et terriblement triste adressé à tous ceux qui résistent encore à la dictature trumpienne de la bêtise et de la cruauté.
Et si les Violent Femmes, même vieillis, étaient toujours un groupe essentiel ?
Eric Debarnot