On a découvert le travail de l’américain un peu par hasard, à la lecture de quelques pochettes de disque, à l’évocation d’autres noms qui ouvraient des pistes pleines d’indices, Peter Broderick par exemple ou Erased Tapes également. Avec The Cell, ce mini-album qui fait suite à cinq albums divins, David Allred impose un univers tout en subtiles variations sensibles et exquises.
On a tous des secrets que l’on voudrait garder pour soi, quelques précieux instants que l’on ne voudrait conserver que pour soi. Il faut une sacrée force pour parvenir à se débarrasser de ce costume trop étroit qu’est l’égoïsme et partager avec l’autre. Certaines musiques sont si intimes qu’elles ne semblent destinées qu’à celui (ou celle) qui l’écoute. Ces notes-là n’ont que faire de l’énergie, de la frénésie ou de la joie ou de la tristesse. Elles se situent dans un exact entre-deux, à mi-chemin entre la neutralité et la contemplation.
Il en est ainsi de la musique de l’américain David Allred. Ce qui nous emporte depuis Midstory (2015), l’album qui inaugure cette discographie proche de l’exemplarité, c’est la voix belle et expressive de l’américain et de sa capacité à unir des éléments du jazz, du Post-Rock parfois le plus radical, d’éléments régressifs que l’on croirait extraits d’un disque de Gastr Del Sol ou de Jim O’Rourke, de superbes envolées imaginaires qui ne dépareilleraient pas sur une oeuvre néo-classique. Certains d’entre vous l’ont peut-être découvert à la faveur de sa collaboration avec Peter Broderick le temps de Find The Ways (2017). on ne sera pas surpris de cette association pour qui connaît le travail de l’auteur de And It’s Alright, L’un comme l’autre sont tentés par deux propensions, deux polarités, d’un côté l’envie d’un folk qui s’inspire de celui de leurs terres natales américaines, de l’autre une exaltation pour l’expérimentation mais aussi un travail omniprésent sur les voix.
Là où la musique de David Allred a gagné en maturité, c’est peut-être dans cette volonté à délaisser les artifices parfois employés par l’américain d’une dissonance un peu prévisible pour se laisser gagner par un sens de l’espace et de l’épure. Prenez Running Out Of Color sur le premier disque de l’américain qui se rapproche du Eight Corners de Gastr Del Sol, on ne trouve plus la trace de ce type d’expérience sur les deux derniers disques de David Allred, Pourtant, on entend encore ça et là quelques éléments d’un jazz dissonant dans le background.
Pour vous faire un soupçon d’idée, imaginez un instant des harmonies vocales dignes d’un Stephen Stills, ajoutez-y une once de frissons comme ceux que l’on ressent à l’écoute des disques de Paul Buchanan, on y croise aussi les spectres des trompettes de A Life Full Of Farewells (1995) des Apartments. Le monsieur est souvent tiraillé entre le silence et l’expression mais qu’il soit exclusivement dans un répertoire instrumental ou dans le format plus classique de la chanson, il nous enchante.
Choisissant de ne pas choisir entre classicisme, respect d’un patrimoine du songwriting où Randy Newman et le jeune Mark Kozelek régneraient en rois modestes et malaxage des sons, David Allred explore une matière qui doit autant au slowcore version Spokane qu’au courant néo-classique.
Le californien déploie sa voix avec une subtilité qui se déjoue des frontières et des limites.Le chant n’est fiévreux que pour mieux distinguer une expression à peine perceptible. Prenez The Cell qui ouvre le disque et cette ampleur dans le Falsetto, la miniature climatique en arpèges de violoncelle qu’est Mandatory Soul qu semble n’exister que pour annoncer la merveille qu’est Nature’s Course, possible rencontre entre Nick Drake et un piano. Full Moon, autre exercice de concision toute en tension doucereuse sert lui-aussi de faire-valoir à un Fading Away muet qui montre les envies purement instrumentales de l’américain. Family, quant à lui, il nous ramène à la famille Drake et à Molly et ses élégies limpides.Comme souvent, David Allred installe ses chansons dans des lieux bien existants, y fait vivre des personnes bien réelles. Ils peuvent s’appeler Broderick, Caroline, Chantal Acda ou encore Catherine E Coulson, la dame à la bûche de Twin Peaks. On y entend le bruit du vent sur Le Mont Hood, le bruissement des arbres ou encore la solitude de paysage comme ceux de Lexington Hills Il se dégage de ces titres une impression paradoxale de frustration, d’inachèvement qui vient irriter notre impatience. Quelque chose qui relèverait de la suggestion, de ce qu’il faudra savoir deviner dans ce langage en-dehors des mots, dans ce silence qui en dit long. The Cell, comme les autres disques de David Allred, est une oeuvre intranquille, perturbée par le doute avec cette lumière qui chercherait à s’extirper de la brume, à se faire feu follet.La musique de l’américain est cernée par l’inertie comme encombrée d’elle-même mais elle n’est jamais trop pesante. La grâce fascinante irrigue chacune des notes, chaque mot prononcé, chaque inflexion de ton et ce ne sera ni la tristesse ni la peur de la souffrance ici présentes qui empêcheront à la poésie de se dégager des eaux saumâtres dans lesquelles on la croyait enfermée à tout jamais.
The Cell ne sera sans doute pas un disque que vous écouterez souvent car c’est une collection de notes qui demande toute votre attention, c’est aussi un moment difficile qui nous met face à nous-mêmes, une petite épreuve pour taire son ego et se diluer dans quelque chose qui n’est ni vraiment la douleur ni vraiment la tristesse, un lieu auquel on reviendra parfois pour y puiser un peu de courage et la volonté de continuer envers et malgré tout.
Une épaule fidèle et robuste dans les instants de doute.
Greg Bod