Comme si on n’en avait pas déjà soupé, des super-héros, voilà que déboulent maintenant les versions méta, adultes, etc. de cet univers… envahissant ! Sur Amazon Prime, The Boys fait polémique et passionne…
Pour qui n’a pas lu le comic book dont s’inspire The Boys, et n’est pas en plus très fan de ces envahissants personnages de super-héros qui colonisent aujourd’hui les divertissements planétaires, la nouvelle série de chez Prime Amazon éveille autant d’espoirs que d’inquiétudes : réussite à la Watchmen ou détestable hypocrisie à la Deadpool ? Si l’on accroche immédiatement à un pitch à l’évidence renversante (les Super-héros sont des hommes, donc ils manifestent les mêmes excès, les mêmes vices que l’homme ordinaire, qui plus est exacerbés par le pouvoir quasi absolu dont ils disposent…), on est d’abord plus réservés par rapport à son traitement. L’exécution de Translucent au début de la série, à la fois gore et moralement abjecte, inspire plus le dégoût pour les personnages principaux – un groupe de victimes collatérales de l’activité des super-héros, lancé dans un sanglant programme de vengeance – que le rire : maladresse du scénario qui empêche l’adhésion du téléspectateur à la cause de ces « terroristes » aussi antipathiques que leurs cibles, ou au contraire suprême habileté d’une histoire qui se dégage ainsi de tout manichéisme ? On veut bien croire à la seconde explication, et à une vision assez nihiliste (« tous des ordures »…,), mais le mal est fait : The Boys restera tout au long de sa première saison un spectacle bluffant, avec des prises de position politiques audacieuses au point qu’on a du mal à réconcilier ce qui est dit ici avec le nom d’Amazon au financement, mais pas vraiment sympathique.
Le plus passionnant dans cette première saison, ce n’est pas – si l’on fait exception de la toute dernière partie, assez bien troussée, il faut l’admettre – son déroulement, qui est souvent sans grand intérêt et peu logique, c’est plutôt son acharnement à montrer la saloperie humaine, qu’il s’agisse des « supes » ou des simples mortels : harcèlement sexuel, addiction aux drogues, soumission inconditionnelle au pouvoir de l’argent, mépris pour la vie humaine, glorification de la force et adulation du pouvoir quel qu’il soit, hypocrisie religieuse, tout y passe, dans une sorte de catalogue quasi-exhaustif des maux de notre époque… Auquel se rajoute une charge virulente contre l’abêtissement planétaire sous les assauts de l’industrie du divertissement, et contre les manœuvres criminelles de l’industrie militaire et ses collusions avec les politiciens ! Disney + Lockheed, si l’on veut, le tout s’appuyant sur la foi bien réactionnaire de l’Amérique de Trump…
Voilà un portrait à charge qui, presque à la manière d’un Verhoeven, emprunte les atours et le langage de ses ennemis – politiciens, CEOs de multinationales et chrétiens fondamentalistes – pour délivrer un message inhabituellement engagé, en se moquant en particulier des images iconiques, voire christiques que l’Amérique déploie à profusion autour de ses soi-disant « héros ».
La « signature Amazon » et le retour progressif de The Boys à une fiction classique, avec twist final, nous forcent toutefois à soupçonner une énième récupération ambiguë de l’inconfort et de la contestation qui gronde aujourd’hui… Reste qu’on aura eu droit à une poignée de scènes mémorables, voire même jamais encore vues dans une production commerciale populaire, telles celle du festival chrétien, ou celle, qui constitue certainement le sommet de cette première saison, du piratage de l’avion.
La qualité de l’interprétation, des plus variable, avec des erreurs de casting étonnantes (Karl Urban, avec un faux accent anglais, plutôt mauvais dans l’excès alors que son personnage nécessitait plus d’ambiguïté, l’utilisation d’un acteur israélien, Tomer Capon, surjouant un « frenchie » caricatural, etc.) mais aussi de belles performances (Elizabeth Shue et Antony Starr, les « super-méchants » de l’histoire, sont heureusement remarquables de charisme et de complexité !) témoigne de ce qu’il faut bien qualifier de manque de maîtrise d’une série, qui oscille entre le très bon et le plutôt mauvais, et entre les clichés habituels du genre et les sursauts d’audace.
Il faut admettre, en toute honnêteté, que, malgré des défauts frustrants, cette première saison nous offre une conclusion réussie : tout en bouclant impeccablement un récit que l’on craignait de voir s’éterniser comme dans tant de séries « à la mode », elle nous laisse suspendus devant une surprenante indécidabilité quant à la profondeur de nos protagonistes. À l’habituelle cataclysme d’hyper-violence caractéristique du genre, le showrunner et les scénaristes de The Boys ont préféré la déflagration silencieuse des sentiments humains. On les applaudit très fort.
Eric Debarnot