Omoiyari, le dernier album exemplaire de Kishi Bashi, nous rappelle combien la musique peut nous toucher en plein cœur tout en nous parlant de la nécessaire résistance face à l’inhumanité croissante de notre société.
Il y a une bonne dizaine d’années de cela, nous avions eu la chance de voir le violoniste Kishi Bashi, alors membre du collectif psycho-halluciné Of Montreal, jouer sur scène en première partie du groupe. Sa courte prestation avait été un choc esthétique et émotionnel, tant la virtuosité du violoniste et la beauté de sa voix avaient donné naissance à une expérience étonnante. Pourtant, nous n’avions pas ensuite particulièrement suivi la carrière de ce jeune Américain d’origine japonaise, dont les parents avaient immigré après la seconde guerre mondiale. Jusqu’à la parution de cet Omoivari (un mot japonais qui signifierait, semble-t-il, « compassion »), un album remarquable à plus d’un titre, passé largement inaperçu chez nous.
Ce dont nous parle dans son nouvel album Kaoru Ishibashi, le chanteur-compositeur multi-instrumentiste (avant, on disait homme-orchestre, mais ça faisait sans doute trop bateleur de foire !) qui se dissimule sous le nom de scène de Kishi Bashi, ce n’est ni plus ni moins que l’un des sujets les plus sensibles de notre époque, le sort que nous réservons aux immigrés, et la tendance terrifiante de nos sociétés à recréer des camps d’internement pour ceux que nous ne savons plus accueillir à bras ouverts dans nos sociétés égoïstes et paralysées par la peur. Vivant en 2019 au pays de Trump, le roi des murs anti-immigrants, alors qu’il est lui-même issu de cette immigration, Kaoru est forcément encore plus sensible que quiconque à cette injustice inhumaine que nous faisons chaque de jour, et de plus en plus, à nos frères, à qui nous renions tout simplement le droit de vivre.
Car ce drame contemporain le renvoie aux douloureuses réminiscences des camps de concentration US où furent emprisonnés les citoyens Américains d’origine nippone pendant la seconde guerre mondiale. Notre devoir de mémoire envers ces victimes innocentes de la brutalité arbitraire reste entier, comme Kaoru le chante dans le merveilleux A song for you, l’une des chansons à la mélodie la plus immédiatement accrocheuse de l’album : « With sacred innocence / In the middle of the war / I fought for you / The pride in every light / That shined upon your face / From a memory erased / It’s all for you ».
Mais au-delà de son expérience pourrait-on dire personnelle, vécue, de l’ostracisme grandissant vis-à-vis des minorités dans l’Amérique trumpienne, Kishi Bashi sait surtout élever ses chansons vers la lumière, en faire une sorte de chant d’espoir qui peut ravir l’auditeur tout en le faisant réfléchir. La magnifique introduction de l’album, digne des meilleurs titres seventies de Simon and Garfunkel, nous appelle ainsi à résister, à nous rebeller ENSEMBLE, par l’Amour et par l’Art : « When will you have the courage to / Sing a song with me and you? / Come to you, whatever you do, anywhere » (Penny Rabbit and Summer Bear).
La référence à Simon and Garfunkel pourra peut-être faire fuir les allergiques à une pop-music traditionnelle et trop sucrée, et ce d’autant que Kishi Bashi a pu avoir naguère une tendance à l’accumulation excessive de couches musicales, voire à l’emphase typique des musiciens-savants et virtuoses. Heureusement, Omoivari sait rester la plupart du temps parfaitement léger, et ne craint pas d’aller chercher, comme dans le magnifiquement cinématographique Theme From Jerome (Forgotten Words), chanté en partie en japonais, un véritable romantisme exsangue. Et une tristesse bouleversante : « There was a girl / She fell in love / And on the sun-dried land / They settled in and started again / And when they sleep / She’d sing this melody / To her beloved sons / Forgotten words from Japan. »
Un chef d’œuvre d’émotion, un album presque parfait, qui nous parle de notre monde sans jamais devenir sentencieux, sans jamais perdre son point de vue intime. Un album à côté duquel il serait vraiment dommage de passer.
Eric Debarnot
Bashi où la synthèse des Polyphonic Spree, Silver mount zion et un zest du floyd.
Génial.
PS: Appel à Yann: Tiersen, ton violon te sauvera.