La série de l’été – de l’année même – est anglaise, prémonitoire, anxiogène, et malgré tout, terriblement humaine. Outre son casting impressionnant, elle parvient en six épisodes incroyables à montrer une descente lente, insidieuse, irréversible vers un proche avenir qui semble apocalyptique.
L’année sérielle 2019 sera anxiogène ou ne sera pas. Calquée probablement sur un pessimisme sociétal généralisé, elle aura déjà mis en lumière tout ce qui angoisse ou terrifie l’homme depuis quelques décennies et pour longtemps : catastrophe nucléaire avec Chernobyl, une génération adolescente en perte de repère qui ne voit aucun avenir (Euphoria), un futur technologique entre chaos et résignation (Love, Death and Robots) ou toujours l’injustice et le racisme (Dans leur regard)… les meilleures séries de l’année sont pour l’instant loin de provoquer un sentiment de bien-être et de détente comique.
Et le choc britannique de cet été ne va rien radoucir, au contraire : Years and Years, dès son premier épisode, embarque son téléspectateur sur un terrain peu agréable : celui de la terreur diffuse, de l’inquiétude trop paisible pour ne pas devenir totalement paranoïaque, mais qui laisse au final un sentiment flippant. Et si cette impression demeure, c’est que la série réussit d’emblée à mêler des préoccupations politiques, sociétales, écologiques avec une histoire familiale riche, presque « clichée » dans ses caractéristiques (famille recomposée, mixte, homoparentale). Si la trame reste au départ classique – suivre façon storytelling à l’américaine, une famille anglaise de classe plutôt aisée, elle bascule rapidement vers la série d’anticipation hypra-réaliste (et terrifiante donc) avec des accélérations subites de ce que sera – ou pourrait être – le Royaume-uni et son Brexit imminent, l’Europe, le monde, et, de manière plus intime, le destin de ces membres de famille lié au futur de leur pays, aux nouvelles technologies, à la génétique, aux désastres écologiques, financiers, conflits…
Sans trop dévoiler ce qui fait le coeur et le dessein de la série – à savoir imaginer un futur proche et sombre, ce qui marque et étonne dans Years and Years, c’est probablement le caractère prémonitoire qui domine tout du long. Si tout n’est qu’hypothèse, tout semble tellement réaliste, prévisible, avec des postulats qui demeurent bien réels (émergence ou retour des partis extrêmes partout en Europe, crise migratoire, krach boursier, course à l’armement nucléaire, fossé immense entre classes sociales, réchauffement climatique). Et les conflits familiaux, simples petites prolongements d’une société en crise, qui résonnent en chacun de nous de manière très forte.
Et forte est vraiment le terme qui convient à Years and Years : outre ses qualités formelles, outre son casting impressionnant (et notamment Emma Thompson impeccable en leader de parti extrême, sorte de Marine Le Pen britannique bankable), elle parvient en six épisodes incroyables à montrer une descente lente, insidieuse, irréversible vers un proche avenir qui semble apocalyptique, et promis à une désagrégation inévitable. Avec comme seul rempart, seule zone de confort même mince : le terreau familial, celui du lien fraternel, ou amical, ou amoureux. Comme si l’humain pouvait rester, malgré tout, son propre rédempteur à un environnement nuisible.
Probablement la série de l’année. Vous l’avez déjà lu ailleurs, vous le lisez ici aussi.
Jean-François Lahorgue
Years and Years
Série britannique de Russell T. Davies (2019)
Avec Emma Thompson, Russell Tovey…
Six épisodes de 60mn
Diffusion : juin 2019 (BBC, Canal +)