Dans ce second roman, plus alerte, plus poignant, plus incisif que le précédent, Didier Delome dénonce les mères qui ne veulent pas aimer leur progéniture et les pères qui les abandonnent à leur triste sort.
Dans son précédent livre, Jours de dèche, Didier Delome raconte l’irrésistible descente aux enfers d’un flambeur qu’il pourrait bien avoir été. J’avais écrit dans mon commentaire que cette histoire n’était pas close qu’il lui faudrait un autre développement où il raconterait ses démêlés avec le monde de l’édition pour faire publier son livre, son histoire invraisemblable, son parcours chaotique, l’origine de tous ses travers et de tous ses déboires. Didier a bien écrit cet autre livre mais le sujet en est tout autre, il concerne bien ce qui pourrait être l’origine de tous ses travers et déboires, mais il va chercher ceux-ci dans les rapports houleux, et même pire que ça, qu’il aurait entretenus avec sa mère. Il serait donc ce fils rejeté par sa mère qui, caché derrière un pilier de l’église Saint Jean de Montmartre, assiste au baptême de sa petite-fille auquel son fils qu’il a abandonné avant sa naissance, a donné le même nom que la mère agonie. « Nous avions beau être du même sang au lieu de me percevoir comme la chair de sa chair, j’incarnais pour elle un corps étranger, qui plus est indésirable parce que masculin. Une entité dégoûtante, insupportable que son propre corps devait à tout prix expulser de son environnement… »
Le récit de ses rapports de ce fils avec sa mère commence par cette phrase lapidaire et foudroyante : « Ma mère était gouine et je ne souhaite pas à mes pires ennemis d’endurer mon adolescence auprès d’Elle. Longtemps les deux mots qui m’ont le mieux évoqué cette femme ont été honte et dégoût ». Cette histoire ne commence pas avec sa naissance à lui mais avec sa naissance à elle, cette période lui étant donc inconnue, il a recours à l’un des meilleurs amis de sa mère pour reconstituer cette partie de l’histoire qui court de la rencontre de sa mère avec cet ami devenu patron d’un célèbre cabaret pour homosexuels de Pigalle. Françoise, la mère était au moment de leur encontre une très jeune fille androgyne, très belle, mais peu soucieuse de son charme. Ils fréquentaient tous les deux une bande qui traînait du côté de Saint Lazare et s’encanaillait à Pigalle. Sa famille très composite avait assez d’argent pour qu’elle donne libre court à ses petits caprices jusqu’au jour où elle est tombée amoureuse d’un bellâtre qui l’a engrossée et entraînée en Algérie où il l’a bien vite délaissée.
L’expérience algérienne tourne vite à la débandade et Françoise rentre au pays avec Didier qu’elle confie à sa belle-famille, son frère partant avec son père putatif. Elle reprend ses activités à Pigalle où elle rencontre une femme richissime qui la prend sous son aile sans jamais pouvoir en faire son amante. Cette union se brise quand une autre femme l’enlève et se met en ménage avec elle. C’est dans ce foyer de deux lesbiennes que Didier débarque un jour pour six années de son plus grand malheur. Il subit alors les pires avanies et les pires humiliations jusqu’à ce qu’il décide de s’enfuir pour construire une autre vie. Une vie qu’il bâtira à l’image de celle que sa mère a érigé, puisqu’au moment de revivre cette histoire, il observe le fils qu’il a abandonné, comme sa mère l’a lui aussi abandonné, faisant baptiser sa fille en lui donnant comme pour le narguer et le meurtrir un peu plus, le nom de la mère qui l’a torturé : Françoise.
Dans son premier livre, Didier Delome inspirait plutôt la pitié, la commisération, la compassion pour ce pauvre type égaré dans le monde des pauvres qu’il ne connaissait pas du tout. Dans ce second opus, plus alerte, plus poignant, plus incisif, il ne se plaint pas, il dénonce les mères qui ne veulent pas aimer leur progéniture et les pères qui les abandonnent à leur triste sort. C’est un véritable réquisitoire contre ceux qui procréent sans se soucier de savoir comment ils élèveront le fruit de leurs étreintes. C’est aussi une page d’histoire du quartier de Pigalle de la fin de la guerre à nos jours, avec la faune, surtout homosexuelle, qui le hante la nuit, du taulier à la prostituée, du barman à l’hôtesse qui fait boire le client et à tous ceux qui y font régulièrement la fête au milieu des touristes et autres gogos. Mais, ce livre n’est pas qu’un documentaire sur Pigalle, qu’un réquisitoire contre les mauvais parents, c’est aussi une œuvre littéraire savamment construite qui retient toute l’attention du lecteur d’un bout à l’autre de sa lecture.
Et, peut-être qu’un jour prochain, Didier nous racontera comment il a retrouvé son fils et surtout la petite fille qui lui permettra de pardonner tout ce que sa mère lui a fait subir… ?
Denis Billamboz