Nous n’imaginions pas que Rennes était une ville aussi dangereuse, mais Frank Darcel, ex-Marquis de Sade, nous divertit avec un polar efficace qui rend hommage à sa ville qu’il connaît bien, grâce à des personnages complexes et passionnants.
Le nom de Frank Darcel évoque forcément la période faste de la nouvelle vague française à la fin des années 70, celle des « garçons modernes » qui donnèrent une impulsion fantastique à un Rock Français qui stagnait jusqu’alors dans la copie peu inspirée des modèles anglo-saxons. Son groupe Marquis de Sade marqua profondément sa génération, et c’était logiquement une attente de notre part que de retrouver chez l’écrivain quelque chose de cette démarche, voire de cette époque…
Une attente déçue puisque Vilaine Blessure s’avère d’emblée un polar totalement en ligne avec notre époque, respectant largement les règles du genre : intrigue complexe avec plusieurs fils conducteurs qui se croisent et se rejoignent parfois, personnage inquiétant frôlant le serial killer introduit d’emblée dans un registre horrifique, mal être existentiel des policiers, cliffhangers et procédés parfois abusifs pour faire monter la tension chez le lecteur… tout y est. Provoquant quand même une certaine frustration, même s’il est indéniable que le plaisir « habituel » est là pour qui aime les thrillers tendus, qui se dévorent d’une traite. Bref, Darcel n’a pas forcément pris de gros risques, il a écrit un livre qui peut potentiellement être un succès, il a démontré son savoir-faire en la matière… même si l’on peut pointer quelques maladresses de « débutant » : un excès d’intrigues en parallèle qui amène le livre à être sans doute un peu trop long – mais on a le sentiment que l’écrivain néophyte à voulu mettre dans Vilaine Blessure le maximum d’idées, et cette générosité est finalement plaisante -, et surtout, on l’a dit, un recours à des techniques un peu artificielles pour créer du suspense, comme par exemple lors de la rencontre entre l’enquêtrice et le serial violeur qu’elle traque à titre personnel, ou bien le flash-back (en italiques !) révélant ce qui s’est réellement passé entre les deux adolescents disparus, vérité auxquels les enquêteurs n’auront pas accès, à la différence du lecteur !
Il est plus intéressant de se pencher sur les singularités du livre de Frank Darcel, car il n’en manque pas, et elles font finalement son intérêt. D’une part, l’ancrage très réel de la fiction dans la ville de Rennes, que Darcel connaît bien, lui garantit une véracité, donc une crédibilité qui compensent le sentiment d’une accumulation exagérée de crimes et délits pour une telle ville moyenne de Province. C’est véritablement un plaisir d’arpenter ces rues, ces parcs et ces quartiers avec Darcel, avec lesquels on sent qu’il entretient des rapports émotionnels forts, et cela nous change formidablement du paysage usé de Paris et de la Région Parisienne dans 90% des polars habituels. Ensuite, Darcel a clairement relié son livre à notre actualité politique et sociale (même si c’est parfois au prix d’un certain didactisme avec lequel Darcel livre ses propres opinions sur le sujet) : là encore, cela crée un sentiment de vie, une relation forte avec le lecteur qui trouve dans Vilaine Blessure un écho à ses propres préoccupations… même si cela signifier peut-être que le livre vieillira mal lorsque ses préoccupations ne seront plus d’actualité.
Mais c’est sans doute dans la richesse de certains des personnages du livre que réside le meilleur de Vilaine Blessure : une policière profondément blessée par une épreuve subie lors de son enfance, un trentenaire en situation de rupture et d’échec professionnel et sentimental, un autre policier aux sentiments ambigus… le mal être et l’indécision, le doute et l’angoisse sont partout, profondément nichés dans les personnages, qui ne deviennent formidablement crédibles et proches de nous.
Gageons que Darcel sera capable de creuser cette veine-là, qui est le meilleur de son style, et d’épurer certaines scories stéréotypées qu’il a laissées dans Vilaine Blessure, peut-être pour lui assurer un certain succès, ou peut-être parce qu’il n’a pas voulu se dévoiler complètement dans ce livre. On attend la suite !