En 2019, Marie Ulven et son girl in red racontent frontalement les difficultés de trouver sa place lorsque l’on est une jeune femme homosexuelle, et prouvent avec l’EP Chapter 2 que la « bedroom pop » inventée il y a plus de 30 ans par les Smiths et consorts est toujours pertinente.
Marie Ulven a tout juste 20 ans. Elle est Norvégienne. Elle aime les filles, ce qui n’est – heureusement – plus vraiment un problème, pourrait-on prétendre, en 2019. Mais les angoisses adolescentes restent les angoisses adolescentes, et l’on imagine bien qu’être un tant soit peu « différente » de la norme n’aide nullement quand on habite au fin fond de la Norvège. La musique, l’écriture sont logiquement un exutoire parfait pour transcrire ces troubles, pour leur donner forme et visage, pour les combattre. L’écriture et la musique sont aussi un partage, et à notre époque, à la fois bénie et maudite par la puissance des réseaux sociaux, les premières chansons de Marie, composées dans la meilleure tradition « bed sitting room music » (soir la « musique de garçonnière ») immortalisée par les Smiths, ont rencontré dès 2018 un écho littéralement gigantesque, non seulement en Scandinavie, mais au niveau planétaire. Il suffisait d’avoir pu assister en mai dernier au passage de girl in red (soit « Marie et les Garçons », comme à la grande époque new wave française, ah, ah !) dans une Boule Noire complète, bourrée de jeunes filles et de jeunes femmes extatiques, pour percevoir l’importance de l’impact de ces chansons à la fois accrocheuses – l’éternel puissance d’une belle mélodie chantée par une voix « honnête », presque nue, sur quelques accords de guitare carillonnante – et touchantes de spontanéité.
Il n’était toutefois pas facile de donner une suite à la désarmante I wanna be your girlfriend (« Oh Hannah / Don’t look away / Oh Hannah / Just look at me the same / I don’t wanna be your friend / I wanna kiss your lips / I wanna kiss you until I lose my breath » ), avec son ambiance de spleen cotonneux et néanmoins énergique, sa mélodie immédiatement mémorisable, et surtout ce sentiment d’urgence d’un premier cri d’amour et de désir. Le passage de l’instinct amateur à la nécessaire maîtrise professionnelle, nécessaire pour pouvoir répondre à l’intérêt, voire à la passion de centaines de milliers de fans allait-il même être possible, ou bien s’avérer fatal au charme modeste de girl in red ?
La très bonne nouvelle de ce Chapter 2, composé de 5 chansons (comme le Chapter 1) que l’on nous présente comme composées elles aussi en solo par Marie dans sa chambre, c’est que Marie a clairement grandi, chante mieux des morceaux mieux produits, mais n’a rien perdu de cette émotion sincère qu’elle dégage naturellement.
Plus léger, un tantinet moins « rock adolescent énervé » que le premier EP, cette suite ne marque pas une véritable rupture, mais confirme la naissance d’un véritable tempérament artistique : oui, il y a une artiste derrière la jeune femme troublée et souriante, naïve et enthousiaste, que nous avons applaudie l’année dernière. L’introduction sur Watch You Sleep est inattendue et splendide de tendresse, de mélancolie et de luminosité, et confirme que nous avons affaire à une excellente compositrice et une excellente chanteuse. Mais c’est évidemment le fascinant – et quasi lynchien – Dead Girl in the Pool, dont on garde un souvenir ému à la Boule Noire, qui marque le sommet de ce mini-album et le rend indispensable : « This is the morning after / The house is such a disaster / But there’s someone outside / That caught my eye / There’s a dead girl in the pool / I don’t know what to do… /I’m the dead girl in the pool ».
Ne laissons donc pas girl in red exclusivement à ses cohortes de fans féminines, militant à juste titre pour une plus grande tolérance sexuelle, et recevons Marie Ulven comme ce qu’elle est désormais, une vraie musicienne, qui prolonge et rafraîchit le rock indie nerveux et hyper sensible tel qu’il fut inventé au début des années 80 en Angleterre. Et lui redonne une raison d’être. Et même un beau cœur, féminin qui plus est. Et ça, c’était inespéré.
Eric Debarnot