Bruno Dumont revient à son adaptation de la Jeanne D’Arc de Péguy avec second volet radical, où il sait faire surgir sa définition du sublime…
L’œuvre de Dumont a beau être éclectique et riches en surprises, le cinéaste n’en apprécie pas moins les projets au long cours. Les deux saisons de P’tit Quinquin en témoignent, en alternance avec son adaptation de la Jeanne d’Arc de Charles Peguy dont l’enfance trouve son prolongement dans cette deuxième partie, qui mènent l’illuminée jusqu’au terme de son parcours. Soucieux de souligner l’athéisme de Peguy et de citer l’écrivain affirmant que « notre âme a toujours 12 ans », le cinéaste a donc décidé de garder la même interprète pour incarner, dans toute sa beauté et son innocence, cette grande figure atemporelle de la conviction, de la révolte et de l’engagement.
Le lien par la figure de la jeune fille se fait donc à rebours de l’adolescente qui clôturait Jeannette, un parti-pris singulier qui joue donc de la continuité comme de la rupture. On retrouvera cette pureté du texte originel, ce recours à des parties musicales, mais dans une proportion inversée : alors que l’électro métal du premier opus occupait le devant de scènes très bucoliques dans le premier opus, la dimension littéraire devient prépondérante, et les intérieurs mobilisent une grande partie des prises de vues, dans des superbes exploitations de la cathédrale d’Amiens pour la transcription du procès notamment. L’aridité change donc de camp : en un sens, Jeanne est moins perché que son prélude, sans doute parce que le récit aborde l’âge adulte des responsabilités (des fidèles envoyés au combat, et d’une position qu’on assume face au Roi et à l’Eglise) et que la théâtralité sèche du film s’attarde très longuement sur le protocole glacial des autorités.
Le jeu des oppositions fonctionne une nouvelle fois par la radicalité : le texte exhaustif s’éternise volontiers, et la fixité des plans, souvent sublimes dans leur cadrage associe la minéralité des lieux à la fixité d’un système qui refuse le mouvement du libre arbitre. On sent ici le retour d’une thématique qui habitait la première partie de la carrière de Dumont, ce rapport au sacré qui peut effrayer dans sa froideur, et bruisser dans d’autres domaines où il serait impossible de le formuler, à savoir la nature. C’est le cas de ces prises de vues sur les habituelles dunes du Nord, où les bunkers de la seconde guerre mondiale deviennent la prison de Jeanne. L’iconographie folle du premier volet, ses chorégraphies d’amateurs se crispe face à la raideur du monde des adultes, sans que la grâce n’abdique, en témoigne cette parade équestre vue du ciel et qui substitue aux combats (faute de moyens, sans doute, mais aussi et surtout par égard pour la dimension littéraire de l’adaptation) une autre forme de mise en scène épique.
Mais le film ne trouve sa véritable finalité que dans le contrepoint qu’offre Jeanne au système dans lequel elle évolue. Pivot des débats, centre névralgique des prises de vues, ce corps d’enfant offre une grandeur paradoxale face aux adultes qui décident stérilement de son sort. Elle est la vigueur d’une parole répétée et flûtée, absolument inamovible et qui va jusqu’au cri habité pour réaffirmer son engagement, allant jusqu’à faire dérailler la machine bien huilée du système.
Et l’audace attendue de la part de Dumont arrivera à quelques reprises, d’autant plus éclatante qu’elle est volontairement raréfiée. Les interludes musicaux que l’on doit à l’immense seigneur qu’est Christophe, sont de véritables déchirures célestes qui inondent de grâce les protagonistes comme les spectateurs. Alors que les ecclésiastiques parlent au nom d’une force mystique dont on n’entrevoit rien, cette incursion du sacré, par la présence de Jeanne, fait brutalement décoller le récit entier vers des contrées insoupçonnées.
L’enfant, le chanteur, le cinéaste conjurent ainsi un écrin morbide et fanatique pour initier à l’indicible qui motive la foi et donne la force d’un sacrifice. Il n’est pas surprenant de voir Dumont trouver son point d’équilibre dans le point de rencontre de ces plaques antagonistes : c’est toujours dans le fracas revigorant des extrêmes qu’il a su faire surgir sa définition du sublime.
Sergent Pepper
Jeanne (2019)
Film français réalisé par Bruno Dumont
Avec : Lise Leplat Prudhomme, Annick Lavieville, Justine Herbez…
Genre : Histoire, Drame
Durée : 2h17
Date de sortie : 11 septembre 2019