Le bruit courait du côté de Rouen quant à l’excellence de MNNQNS, nouvelle expression locale urgente et mélodique du Post Punk. Leur premier album, Body Negative, ne déçoit pas.
Il est intéressant de voir que, à notre époque de recyclage systématique de mouvements artistiques en général, musicaux en particulier, des décades passées, la principale source d’inspiration de la vague actuelle de jeunes groupes affublés de l’étiquette de « post punk » (qui est, rappelons-le, un vocable actuel, qui n’était pas utilisé à la fin des années 70 et au début des années 80) est un seul et unique groupe – certes le meilleur de sa génération, nul doute là-dessus – Joy Division. Le Post-Punk de 2019 est donc avant tout un second resurgissement de ce qui devrait être qualifié plus exactement de « Cold Wave » (le terme de l’époque), après une première réapparition dans les années 2000 conduite surtout par Interpol et Editors. Cette mémoire sélective appliquée à l’une des périodes les plus riches créativement parlant de l’histoire du Rock se fait donc au détriment de la plus grande partie de ce qu’on appelait alors la « new wave », et en particulier de son versant « pop », brillamment représenté à l’époque par des gens comme Elvis Costello ou XTC, pour ne citer que ses meilleurs représentants outre-Manche…
Cette longue introduction pour expliquer combien il est donc réjouissant de voir surgir de nulle part – pardon, de Rouen ! – un groupe comme MNNQNS dont la musique renvoie directement à cette parenthèse enchantée où la nervosité et l’urgence punk se « civilisèrent » et alimentèrent un sens mélodique « classique » qui a toujours constitué le meilleur héritage anglais : écoutez les brillants Desperation Moon et Fall Down, extraits de Body Negative, le premier album des Rouennais, et savourez le retour en force de mélodies qui semblent directement inspirées de celles de MM. Partridge et Moulding (qui nous manquent beaucoup, d’ailleurs…).
Mais ce qui impressionne beaucoup dans cet album, c’est l’énergie mise par le groupe pour transformer des chansons pop efficaces en véritables « brûlots », qui vont évidemment prendre toute leur dimension sur scène. C’est que MNNQNS ne sont pas des nostalgiques d’une époque particulière, ce sont des jeunes gens qui ont su écouter également tout ce qui s’est fait depuis : la brutalité grunge, qui perce dans le radical Urinals, l’élasticité d’un Franz Ferdinand louchant vers la défonce physique sur le dance-floor… Et qui intègrent sans concession la brutalité et l’angoisse contemporaine dans des chansons qui s’avèrent beaucoup moins souriantes qu’elles auraient pu l’être dans d’autres circonstances : ainsi le final bruitiste de Wire (Down to the) peut faire écho aux dérapages arty mais implacables de gens comme les formidables The Psychotic Monks ou les nom moins éblouissants Black Midi. S’il y avait un léger bémol à notre enthousiasme en face de compositions aussi bien troussées et d’une énergie aussi rageuse, ce pourrait être quant à la production de Body Negative, qui a tendance à (volontairement ?) laminer le tout, à uniformiser les chansons dans un magma continuel à la fois brûlant et glacé.
Nous avons commencé ici par parler du passé, mais c’est bien du présent (et pour l’avenir, NO FUTURE ?) dont nous parlent ces élégants – mais intransigeants – MNNQNS, une nouvelle raison de célébrer la vitalité actuelle de la scène Rock française.
Eric Debarnot