C’est quand les gens ont été absents trop longtemps que l’on se rend compte de l’importance qu’ils avaient pris dans nos vies. C’est un peu ce constat que l’on fait à l’écoute d’Altid Sammen, le nouvel album et chef d’oeuvre des danois d’Efterklang sept longues années après Piramida. Le sentiment fort de retrouver des amis perdus de vue mais que l’on n’avait jamais oubliés.
Avouons-le, dans les groupes que nous aimons, il y a cette première catégorie, celle qui est fidèle et constante, qui ne nous déçoit jamais et revient avec une belle régularité nous enthousiasmer et réveiller derrière notre lassitude notre passion d’adolescent intacte. Il y a cette seconde catégorie, ces artistes qui prennent la tangente et leur temps, surtout tout leur temps. Chacun de leurs retours sonne comme une renaissance, une lueur d’espoir qui se ranime, on le sait d’avance, de manière si éphémère. Et s’il y avait finalement autant de catégories qu’il y a d’êtres humains ? Autant de manières de construire une oeuvre qu’elle soit à visée productive ou vitale, peu importe ?
Et puis il y a les hors catégories, ces artistes qui décident de s’arrêter le temps qu’il faudra pour retrouver l’honnêteté originelle qui fît les premiers disques, les premières notes composées, les premiers mots crachés. Parfois, c’est à l’ornière du succès, à la proximité de la rencontre avec un public plus large qu’un musicien est pris par cette peur de l’enjeu et de l’échec. Et si c’était ce qui était un peu arrivé aux danois d’Efterklang à la sortie de Piramida, leur quatrième album en 2012 ? Car le moins que l’on puisse dire d’Efterklang c’est que le propos tant musical que thématique du groupe fut toujours ambitieux, alliant une langue riche à des textures électroniques comme sur le génial Tripper (2004) que l’on pourrait rapprocher des sons de Mùm, leurs voisins islandais. Mais les danois surent aussi enrichir leurs arrangements de structures symphoniques avec comme point d’apogée et de maîtrise le superbe Piramida. Au-delà de la musique et de leurs recherches sonores souvent passionnantes,
Casper Clausen (voix, divers instruments), Rasmus Stolberg (guitare basse, guitare, divers instruments) et Mads Brauer (machines) nourrissaient leur inspiration d’expériences comme ce voyage à l’ancienne cité minière soviétique de Pramida dans le cercle polaire arctique qui amena à leur quatrième album.
Pour Altid Sammen, à traduire par Tous Ensemble, les danois resserrent les propos autour de la question du lien à l’autre. Toutefois, ils n’en oublient pas leur propension à magnifier leurs structures musicales de beautés orchestrales piochant grâce au B.O.X, un orchestre symphonique bruxellois du côté de la musique baroque. Altid Sammen est assurément un disque touché par la grâce et d’une sincérité que l’on ne saurait nier. Pour la première fois, Efterklang s’approprie son chant dans sa propre langue, le danois. Vi Er Uendelig, en ouverture, installe un climat doucereux que l’on aimerait croire apaisée, une forme de saudade des grands froids. La voix de Casper Clausen porte tout le disque sur ses frêles épaules et affirme avec une belle sobriété une fragilité limpide qui devient une force immense.
C’est dans des moments (rares) comme ceux-là que l’on sait pourquoi on aime la musique et qu’on défend la bonne envers et contre-tout, contre les grincheux et les chagrins, les amputés du cœur, les atrophiés de la raison et les hypertrophiés de l’ego. Supertanker hésite entre les essais de Tripper et les réussites de Piramida pour proposer des saveurs nouvelles d’une classe absolue.
Tout au long de ce disque aventureux, on pensera souvent à la sophistication humaniste des cousins bataves des Nits. Prenez Uden Ansigt ou I Dine Ojne, Casper Clausen prend parfois quelques accents à son aîné Henk Hofstede période Giant Normal Dwarf (1990). Le lien entre les deux groupes semble évident pour cette même envie à construire une oeuvre affranchie des genres, portée vers une ligne claire tout en jouant avec l’expérimentation.
Car toute la force d’Altid Sammen réside dans cette spontanéité, dans ces bras grands ouverts qu’il tend vers nous. Comme toujours, Efterklang sait s’entourer : Accompagné par David Chalmin au mixage et enregistré par Kjartan Sveinsson, l’ex Sigur Ros au mixage. Est-ce une coïncidence de retrouver dans Haender Der Abner Sig un peu de ce lyrisme en retenue que l’on avait adoré dans Der Klang der Offenbarung des Göttlichen, l’opéra de l’islandais. Cela prouve tout le talent des danois à réunir en quelques minutes un peu des Leçons de Ténèbres de Charpentier, un peu de Gorecki ou d’Arvo Pärt sans jamais se départir d’un romantisme étincelant.
Altid Sammen est bel et bien un disque de retour et de renaissance mais aussi de rupture avec des habitudes et de possibles tics de composition. Laissant à distance l’emphase qui engluait parfois l’émotion sur certains titres sur les anciens albums, le trio casse son vocabulaire et le déconstruit pour en faire une structure éparpillée, Verden Forsvinder qui commencerait en nappes ambient pour mieux s’abîmer dans une déroute étrange ou Under Broen Der Ligger Du qui se rapproche du David Sylvian accompagné du trompettiste Jon Hassell sur Brilliant Trees (1984). La force d’Efterklang comme le norvégien Arve Henriksen, c’est qu’ils se sauvent de leurs références vénérées avec cette intelligence à savoir capter les perturbations de l’espace, à distiller du troubles dans ces cathédrales sonores.
L’absence ou la présence (peu importe) de leur ancien collaborateur Peter Broderick plane sur tout le disque et sur Havet Lofter Sig en particulier qui rappellera sans doute à certains le Float (2008) de l’américain. En conclusion, Hold Mine Haender annonce des voies nouvelles pour Efterklang avec une synthèse de ce qui forge le son du groupe depuis ses débuts. Ce chant d’enfants ne serait-il pas le symbole de ce lien retrouvé, de ce retour aux autres. Quand on a été si loin de soi, parti ailleurs, un retour ressemble toujours au réveil d’un long sommeil, à l’accommodation lente mais indispensable des yeux à une réalité différente, à l’appropriation d’une identité inédite, d’un être nouveau.
L’Efterklang ancien est mort, vive l’Efterklang ancien !
Que naisse l’Efterklang nouveau ! A n’en pas douter avec un faire-part comme Altid Sammen qui se rapproche de ce que l’on peut appeler un chef d’oeuvre, leur présent est précieux et leur avenir radieux !
Greg Bod