Passionnante auto-biographie d’un jeune expatrié, Bienvenue en Chine nous fait partager son aventure professionnelle, mais reste sans doute un peu trop timide sur le versant sentimental et émotionnel.
Bienvenue en Chine nous inquiète a priori avec sa ressemblance apparente avec les pénibles ouvrages de Guy Delisle, mais nous rassure vite grâce à l’honnêteté de sa narration : on se trouve rapidement embarqué dans l’Odyssée en mode mineur d’un jeune « expat » franco-iranien comme les autres, parti construire sa vie – ou pas – en Chine. Et affrontant les classiques problèmes quotidiens d’acclimatation à une culture et à un mode de vie radicalement différents, au sein desquels il trouvera peu à peu, sinon sa place, mais au moins une sorte de chemin. Quiconque a déjà vécu l’aventure de l’expatriation fraternisera bien entendu plus vite avec Milad, mais sa trajectoire – avant tout professionnelle (on y reviendra…) – sera susceptible de passionner tout le monde, Nouri évitant heureusement la facilité de l’humour, toujours un tantinet « raciste » dans un tel contexte. Il est en particulier passionnant de lire un livre qui parle de travail, d’affaires, d’argent, sans avoir besoin de recourir à un scénario artificiel, et qui propose finalement une approche vraiment respectueuse, et empathique, de la « culture des autres ».
Et puis, d’un coup, surgit la rupture, l’accident, le basculement vers la tragédie. Sauf que l’on se rend compte à ce moment là que l’on ne ressent rien devant le drame, parce que, par pudeur ou par maladresse, Milad Nouri ne nous a jamais parlé de ses sentiments, de ses émotions, de sa vie sexuelle : comment pourrions nous embrasser l’ampleur du drame quand son protagoniste a été volontairement (?) réduit jusque là à un simple rôle d’observateur, quand nous n’avons jamais vraiment pénétré son intimité ? La dernière partie du livre, montrant la reconstruction des affaires de Milad et, en parallèle, de sa vie avec une expatriée brésilienne, se révèle du coup très frustrante : plutôt que d’entendre parler de ses problèmes administratifs et fiscaux, on aurait aimé partager l’expérience émotionnelle de cette rencontre d’un nouvel amour, et des nouveaux défis que cela peut représenter.
Et quand on referme Bienvenue en Chine, on se dit que ce livre n’a certainement pas manqué d’intérêt. Il a juste manqué un peu de cœur, de passion.
PS : Nous n’avons jamais parlé ici du dessin, dû à un auteur belge (même si son nom ne l’indique pas…), Tian-You Zheng. Il est efficace, souvent convaincant, mais purement utilitaire. Là encore, cette histoire, au potentiel certain, aurait mérité un traitement plus ambitieux.
Eric Debarnot
Bienvenue en Chine
Scénario : Milad Nouri – Dessin : Tian-You Zheng
Éditeur : Delcourt – Encrages
198 pages en couleur – 17,95 €
Parution : 21 août 2019