Encre Sympathique, un Modiano serein et au sommet de son art

Avec son 29e roman, Encre Sympathique, Patrick Modiano pose une pierre de plus à son œuvre monumentale, dans un geste poétique virtuose et apaisé.

MODIANO Patrick
© Francesca Mantovani – éditions Gallimard

On entre dans un roman de Modiano comme dans un bain tiède dans lequel on va se laisser flotter. Encre Sympathique ne déroge pas à la règle. On y retrouve avec plaisir l’atmosphère délicatement brumeuse caractéristique de son œuvre, et son style virtuose, irrésistible de finesse.

MODIANO Patrick Encre sympathiqueIl est ici question de Jean Eyben, la vingtaine, chargé par l’agence de détective dans laquelle il vient de trouver un poste – afin de nourrir l’œuvre littéraire à laquelle il aspire – de se mettre en quête d’une jeune femme disparue, Noëlle Lefebvre. A sa disposition, « une simple fiche à la couleur bleu ciel qui a pâli avec le temps », une photo un peu sombre, une adresse, une carte de poste restante.

Les jalons sont posés pour permettre à l’écrivain nobellisé de poursuivre son exploration de « ces zones où s’enchevêtrent la mémoire et l’oubli ». Les frontières temporelles s’ébrèchent. Les personnages, les lieux et les époques défilent. Et en filigrane, Modiano en vient à expliciter sa démarche poétique, son éternelle quête : « Le présent et le passé se mêlent l’un à l’autre dans une sorte de transparence, et chaque instant que j’ai vécu dans ma jeunesse m’apparaît, détaché de tout, dans un présent éternel. »

La mise au jour d’un présent éternel. Un présent dans lequel les souvenirs sont aussi vifs que ce qui se déroule devant nos yeux. Où la mort n’est qu’un détail, car « vous avez beau scruter à la loupe les détails de ce qu’a été une vie, il y demeure des secrets et des lignes de fuite pour toujours. Et cela me semblait le contraire de la mort. »

A la hantise du trou de mémoire, pierre angulaire de son univers romanesque, Modiano semble avoir trouvé un pansement avec la métaphore de l’encre sympathique, cette écriture invisible qui se révèle par certains moyens d’action. « Cela me confortait dans l’idée que, si vous avez parfois des trous de mémoire, tous les détails de votre vie sont écrits quelque part à l’encre sympathique. » Il s’affranchit en quelque sorte de l’oubli, car n’importe quel souvenir peut être ravivé à condition de trouver le bon moyen d’action pour le ressusciter.

On découvre ainsi un Modiano peut-être moins angoissé, et même apaisé, jouissant d’une paix longuement négociée avec ses fantômes. Une douce lumière s’instaure peu à peu dans le roman. Les années ont passé mais Jean Eyben n’a pas oublié Noëlle Lefebvre. Il se sent lié à elle pour une raison qui lui échappe. Et grâce à cette si belle encre sympathique, la possibilité d’une tendre résolution affleure.

Florian LAPORTE

Encre sympathique
Roman français de Patrick Modiano
Editeur : Gallimard
144 pages, 16 €
Date de parution : 3 octobre 2019