Franchement politique – parfois jusqu’à l’excès – Carnival Row est une ambitieuse tentative de Fantasy originale, s’appuyant sur un scénario malin et un budget conséquent.
Et si le meilleur cadre pour la Fantasy, c’était la série TV ? Après le triomphe global – populaire mais aussi critique – de Game of Thrones, il était prévisible que les ambitions d’Amazon Prime, cruellement distancée par Netflix, l’amène à aborder franchement le genre, en attendant a priori le défi d’une nouvelle adaptation du Seigneur des Anneaux.
Carnival Row, mis en ligne sans trop faire de bruit, est pourtant une grosse affaire : dans une ambiance steampunk excitante, au cœur d’une cité façon début du XXe siècle née d’une fusion digitale réussie entre Londres et Prague, on nous propose un thriller fantastique bien troussé, qui peut rappeler le fameux From Hell d’Alan Moore, enrichi en outre de messages politiques anti-trumpiens, entre la fidélité que l’on doit à ses alliés (les « Critches » ici, les Kurdes dans notre chère et tendre réalité…) et la nécessaire humanité qui doit dicter la construction d’un monde acceptant l’immigration forcée et les changements sociaux que celle-ci induit. En ajoutant des acteurs intéressants – Orlando Bloom, désormais épaissi, dans son meilleur rôle, Clara Delevingne, surprenante, et Jared Harris, impeccable comme toujours -, et un gros budget d’effets spéciaux qui assurent une crédibilité totale à cet univers fortement référencé (Angleterre victorienne et bestiaire traditionnel, fées et faunes…) et pourtant joliment original, on obtient inévitablement un objet intriguant… Excitant même parfois, comme lors du très beau troisième épisode qui sort de la Burgue et revient à une Heroic Fantasy classique, ouverte sur de riches mondes imaginaires, et dans les deux derniers chapitres de sa conclusion, surprenante, engagée, où se réalise enfin pleinement le potentiel de l’histoire qui nous a été racontée.
Car, avant d’en arriver à cette excitante résolution, admettons-le, nous avons régulièrement été irrités de la prévisibilité d’une intrigue qui semblait avancer en mode « pilotage automatique » et surtout du simplisme de la critique très « politiquement correcte », très bien pensante, des réflexes racistes de la population de la Burgue vis à vis des réfugiés. Le sentiment de recevoir de la part de la série une lourde leçon de morale, illustrée très littéralement par des personnages simplistes et des situations caricaturales, ne nous a certainement pas aidé à adhérer à cet aspect de Carnival Row !
C’est donc une délicieuse surprise de réaliser que le propos devient finalement bien plus subtil, avec le dévoilement d’une intrigue notablement plus retorse que ce à quoi on s’attendait, et avec une vraie, belle ambiguïté de certains personnages (qui peut d’ailleurs renvoyer à certaines situations de Game of Thrones…). Politiquement même, la fin de la saison, qui décrit très bien comment une démocratie peut basculer très rapidement vers le fascisme sous la pression populiste et sous l’effet des mécanismes bien connus de la peur. Les dernières scènes, répétant symboliquement la création d’un ghetto comme celui, d’affreuse mémoire, de Varsovie, en deviennent superbement marquantes. Et sont à l’honneur d’une série qui se sera avérée bien plus convaincante que l’on imaginait a priori.
Eric Debarnot