Oui, King Gizzard & the Lizard Wizard ont évolué depuis leurs cinq albums de 2017 : moins krautrock et garage, un peu moins prog rock, ils restent irrésistibles avec leur boogie multicolore.
Le bonheur c’est tout simple, finalement : un bref retour inespéré de l’été indien à Paris et un concert à l’Olympia de nos très chers Australiens protéiformes… que demander de plus ? Avec (seulement !) deux albums publiés depuis le début de l’année, Fishing for Fishies et son boogie trans-temporel, et Infest the Rat’s Nest et son hard rock fermement planté dans les 70’s, King Gizzard & the Lizard Wizard la jouent pépère en 2019, mais on peut évidemment s’attendre à tout sur scène, et c’est ce qui fait le sel de cette soirée… Une soirée 100% australienne, il faut le souligner, puisque nous avons droit ce soir à deux autres groupes en provenance de Down Under en ouverture du set de King Gizzard !
20h00 : Stonefield, ce sont quatre jolies jeunes femmes – australiennes, donc – très élégamment vêtues en costumes bleu foncé, qui martèlent un heavy rock millésimé début des années 70 : ça surprend au début, ce n’est évidemment pas désagréable, juste vite un peu routinier, insuffisamment inspiré pour dépasser le seuil du groupe sympathique. C’est la batteuse qui est la principale chanteuse, tout en tapant fort. Longue chevelure blonde virevoltante, elle a une bonne voix qui « braille » comme il faut pour ce genre de musique. La fin du set de 30 minutes voit la musique prendre enfin un peu d’ampleur, mais c’est trop tard pour nous emballer. Un groupe à revoir dans une petite salle, au cas où quelque chose puisse se déclencher dans des circonstances plus favorables ? A noter, car c’est un fait assez inhabituel, que nous découvrirons après le concert que les quatre demoiselles sont en fait quatre sœurs !
20h45 : ORB (à ne pas confondre avec The Orb, évidemment !)… et on continue (presque) dans le même registre musical : rock seventies entre hard psyché et prog heavy. Des morceaux largement instrumentaux, enjolivés par de belles irruptions d’une guitare wah wah distordue – façon Stooges, si l’on se sent généreux – et par le joli tour de main d’un batteur original. A la moitié du set, on échange les instruments entre bassiste et guitariste, et on balaye encore plus large, du côté de Santana parfois, voire des Doors. Tout cela manque, comme avec Stonefield, de magie, de mélodies, de puissance, … de pas mal de choses en fait ! Ces types jouent très bien, mais nous donnent plus envie de bâiller que de danser… Et nous laissent une impression désagréable de retour aux mid seventies, juste avant que les punks ne filent un grand coup de Doc Martens dans la fourmilière d’un Rock endormi par sa propre virtuosité.
21h45 : les sept Australiens, rois du Rock psyché sous toutes ses formes imaginables – et dieu sait que Stu Mackenzie et sa bande ont de l’imagination ! – entrent sur la scène de l’Olympia noyée dans un bain de couleurs chatoyantes. Le public est en liesse, tout s’annonce pour le mieux pour King Gizzard & The Lizard Wizard. Ceux d’entre nous qui étaient au Bataclan en mars 2018 savent qu’il va être difficile de faire mieux… mais c’est sans compter avec le talent caméléonesque du groupe. On attaque façon heavy metal avec Venusian 2, le son est un peu faiblard et creux, mais ça va s’améliorer très vite. Stu et Joey ont échangé leurs places sur scène, mais la configuration du septuor reste à peu près semblable : la section rythmique (les deux batteurs et le bassiste) sont un peu en retrait, les claviers d’Ambrose (qui se montrera particulièrement exubérant ce soir, et sera souvent le point de convergence des regards du public) sont placés sur la gauche, et les trois guitaristes occupent le devant de la scène, tandis que dans le fond, tradition psyché oblige, on a droit à des projections de fascinantes vidéos abstraites et colorées…
Les choses sérieuses débutent vraiment avec l’épique Crumbling Castle, et son ambiance prog rock dynamitée par l’esprit garage du groupe… Et sa mélodie médiévale obsédante, et ses ruptures de ton : le pur et long plaisir de la musique à la fois complexe et festive de King Gizzard. On poursuit notre balade dans l’univers des microtons et du Rock Progressif revisité par ces fous furieux, avec plusieurs morceaux du magnifique Polygondwanaland, et on débouche par surprise sur une version pop pur sucre de Mr. Beat : c’est bien simple, c’est tellement léger et pétillant, on dirait presque du Sparks. Quelque chose a changé chez King Gizzard, la légèreté l’a emporté sur la fascination un peu geek de l’Heroic Fantasy passée au filtre du krautrock. C’est d’ailleurs quand le groupe se lance dans un pur boogie débridé, extrait de Fishing for Fishies, qui sera peut-être le moment le plus magique de la soirée, qu’on réalise pleinement que derrière ce projet vaguement démentiel d’appliquer leur vision à toutes sortes de musiques différentes, se cache un formidable appétit musical, une joie exubérante de jouer qui permet à King Gizzard de transcender tout ce que le groupe touche.
Le reste du set, qui sera limité à 1h30, malheureusement sans rappel du fait de l’heure tardive, volera à des hauteurs stratosphérique, devant un parterre de l’Olympia complet et en transe : magnifique détour par Flying Microtonal Banana, avec les chansons les plus mélodiques de l’album, mémorable intervention vocale d’Ambrose en lead – avec sa voix si particulière -, sans même parler de notre jeune ami Ferdinand (13 ans) partageant la scène avec les musiciens dans la bonne humeur générale, pendant que dans la fosse, le tumulte va croissant.
Après un dernier volet boogie et une courte parenthèse thrash metal, c’est la conclusion joyeuse et jouissive de Am I in Heaven?, salutation du groupe à ses jeunes années : cinq ans seulement se sont écoulés, mais King Gizzard semble avoir vécu cinq vies dans l’intervalle.
Ce soir, nous avons pu assister au set mémorable d’un groupe en pleine maîtrise de son Art, mais qui sait utiliser sa virtuosité technique et son imagination pour proposer cent manières nouvelles de créer du bonheur : tout le monde souriait aux anges en sortant de l’Olympia. Il est bien difficile aujourd’hui d’étiqueter la musique de King Gizzard, loin désormais du pur garage psyché, mais vous savez quoi ? C’est justement ça qui est bien !
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil
Les musiciens de Stonefield sur scène :
Amy Findlay – vocals, drums
Hannah Findlay – guitar
Holly Findlay – bass guitar
Sarah Findlay – keyboards, vocals
La setlist du concert de Stonefield :
Sleep (Bent – 2019)
Through the Storm (Far From Earth – 2018)
Dog Eat Dog (Bent – 2019)
66 (Bent – 2019)
People (Bent – 2019)
Delusion (Far From Earth – 2018)
Eyes (As Above So Below – 2016
Les musiciens de King Gizzard sur scène :
Stu Mackenzie – vocals, guitar, keyboards, flute, bass guitar
Ambrose Kenny-Smith – vocals, harmonica, keyboards, guitar
Joey Walker – guitar, keyboards
Cook Craig – guitar, vocals, synthesizer
Lucas Skinner – bass guitar, vocals
Michael Cavanagh – drums, vocals
Eric Moore – drums
La setlist du concert de King Gizzard :
Venusian 2 (Infest the Rat’s Nest – 2019)
Perihelion (Infest the Rat’s Nest – 2019)
Crumbling Castle (Polygondwanaland – 2017)
The Fourth Colour (Polygondwanaland – 2017)
Deserted Dunes Welcome Weary Feet (Polygondwanaland – 2017)
The Castle in the Air (Polygondwanaland – 2017)
Muddy Water (Gumboot Soup – 2017)
People-Vultures (Nonagon Infinity – 2016)
Mr. Beat (Nonagon Infinity – 2016)
Hot Water (I’m In Your Mind Fuzz – 2014)
This Thing (Fishing for Fishies – 2019)
Billabong Valley (Flying Microtonal Banana – 2017)
Nuclear Fusion (Flying Microtonal Banana – 2017)
Anoxia (Flying Microtonal Banana – 2017)
All Is Known (Gumboot Soup – 2017)
Boogieman Sam (Fishing for Fishies – 2019)
Mars for the Rich (Infest the Rat’s Nest – 2019)
Am I in Heaven? (I’m In Your Mind Fuzz – 2014)