Pour qui aime (encore) le cinéma de Dolan, on a très envie de se montrer tolérant face à sa nouvelle livraison, projetée à Cannes après la sortie exclusive à la France de son trop ambitieux projet américain, Ma vie avec John F. Donovan.
Parce que le tout juste trentenaire réalisateur a déjà une filmographie dense derrière lui, et qu’on lui souhaite de pouvoir la poursuivre avec davantage de sérénité, un état d’esprit qu’il semble s’être offert pour cet opus qui retrouve toute la sève québécoise de son cinéma, sur un pitch modeste que le titre suffit à contenir. Soit, donc, l’histoire d’amitié entre deux jeunes hommes au sein d’une bande, qui pourrait évoluer vers une histoire d’amour, n’étaient les embûches du coming out, du regard des parents, ou de l’ambition personnelle incitant les impétrants à la vie active à embrasser de nouveau horizons.
Les poncifs n’effraient jamais Dolan, lui qui les a toujours pris à bras le corps avec une sincérité qui, le plus souvent, le sauve. On retrouvera donc ici tout ce qui fait l’essence de son cinéma : des portraits sensibles, une authenticité captée avec virtuosité pour les scènes de groupe, et le désir d’aller traquer l’émotion là où elle n’ose pas surgir. Matthias et Maxime, à l’inverse de Mommy par exemple, est un film sur les occasions manquées, sur cette digue qu’il faut rompre, mais que la crainte laisse intacte face à ce que l’autre tait lui aussi.
Ce double portrait est plutôt réussi, même si le récit accuse certaines répétitions, et un crescendo qui n’est pas forcément très crédible (jusqu’à cette scène de conflit et d’insulte qui vient inutilement dramatiser les enjeux et semble révéler que la tâche de vin du protagoniste n’avait finalement que cette fonction scénaristique), naviguant entre du surplace et des pics émotionnels (avec la musique, comme toujours pour des occasions clipesques, ici avec les Pet Shop Boys par exemple) qui virent un peu à l’automatisme.
Dolan poursuit aussi sa veine satirique, croquant le monde professionnel (le métier de Matthias, intégré dans une cage à lapin où même la plante verte va crever) et les hordes hystériques des mères, qui organisent les soirées des jeunes et s’invitent à la fête. Là aussi, sa patte s’affirme et on reconnaitra son talent en matière de directions d’acteurs, son sens du collectif et la fluidité avec laquelle il distribue la parole.
Mais tout ceci reste peu novateur, et on coince le pauvre réalisateur à qui on reprochait justement l’excès d’ambitions dans son précédent opus en fustigeant ici un surplace un peu lassant, d’autant qu’il ose nous resservir le lien à la mère toxique, sujet avec lequel il va vraiment falloir couper le cordon un jour.
Cet hommage à la fin d’une ère (la jeunesse vivant chez ses parents, et l’envol prévu du nid, la confrontation à des sentiments qui nécessitent une véritable prise de risque, et non le confort familial de la bande d’amis ancestrale) annonce peut-être une nouvelle étape dans le cinéma de Dolan. La manière assez savoureuse dont il singe le génie artistique de la jeune réalisatrice semble en tout cas tourner la page de son propre statut d’ado prodige du septième art, et pourrait le pousser à prendre son propre envol vers de nouvelles contrées.
Sergent Pepper