Sur la trame désormais bien usée de la « disparition familiale », Brad Anderson construit avec Fractured une belle atmosphère avant de perdre en route le contrôle de son film. Encore une (relative) déception sur Netflix !
L’exercice de ce que nous appelions naguère le « film-cerveau », à l’époque où David Cronenberg inventait – ou au moins ré-inventait fondamentalement – le genre, est l’un des plus difficiles qui soit, surtout si l’on veut générer un sentiment de mystère, d’énigme à résoudre, inhérent au fonctionnement du thriller commercial contemporain… Alors que ce devrait plutôt être, en toute logique, un instrument pour traiter de manière empathique le sujet bien plus passionnant du trouble mental, vécu « de l’intérieur ».
Fractured commence admirablement bien, sur un rythme lent, avec une mise en scène précise et sans esbroufe, donnant le temps et l’espace à ses personnages d’exister à l’écran… Et surtout créant un beau sentiment de malaise, qui va permettre au téléspectateur d’être prêt à pleinement partager l’horreur de la situation du protagoniste, très justement composé par un Sam Worthington définitivement bien trop rare sur nos écrans. A mi-parcours du film, nous vivons totalement l’incompréhension, puis la paranoïa d’un père de famille affrontant l’évaporation pure et simple de sa fille et son épouse. Nous sommes mêmes enthousiastes quant à ce petit film qui, bien qu’explorant un territoire convenu (parcouru avec des succès divers, du meilleur – Frantic de Polanski – au pire – Flight Plan avec Jodie Foster…), le fait en refusant la facilité du spectaculaire et de l’accumulation des enjeux.
Le problème est que, arrivé à ce point, Brad Anderson ne sait visiblement plus quoi faire de son histoire, qu’il laisse alors filer en pente douce jusqu’à une conclusion forcément décevante. En loupant largement ce qui constitue le « point de basculement » du « film-cerveau », entre réalité et illusion psychotique, en essayant de poursuivre au_delà du raisonnable la piste paranoïaque du complot, Anderson vide son film de ce qui en faisait son principal moteur, l’adhésion du téléspectateur, qui a deviné depuis longtemps « la situation », maladroitement éventée à deux reprises.
Il est finalement rare qu’un film nous captive autant pendant sa première partie pour nous abandonner ensuite aussi franchement sur le bord de la route !
Comme le faisait parfaitement Cronenberg à sa grande époque, une exploration de la psyché du héros de Fractured aurait été mille fois préférable à une trame usée de thriller débouchant sur un « twist » final laborieux et prévisible.
Eric Debarnot