Dans La bonne réputation, Alejandra Márquez Abella filme le délitement de l’élite mexicaine durant la crise économique de 1982 qui frappa alors le pays. Cruel et raffiné.
Ce sont d’abord des petits détails, des trois fois rien. Par exemple ce gros papillon noir posé sur un mur couleur beige et qui jure, ou l’eau qui manque aux robinets, ou ce flacon pour crème de nuit presque vide. Plus tard ce sera une carte bancaire refusée, ou le personnel qui demande à être payé, ou les cours de tennis du country club déserts. Des petits détails qui annoncent un bouleversement, et un grand. Nous sommes en 1982, au Mexique, et la haute bourgeoisie ne sait pas encore ce qui se prépare et ce qui l’attend : une crise économique. Le gouvernement de José López Portillo veut nationaliser les banques, les investisseurs américains retirent leurs dollars et le pays se retrouve en défaut de paiement.
Finis les fêtes d’anniversaire somptueuses, les robes de luxe et les soins du visage. Alejandra Márquez Abella filme la chute d’un empire, le délitement d’une élite en douceur et en élégance. Et si cet écroulement social constitue l’axe principal du scénario, Márquez Abella s’intéresse surtout (et excelle à les croquer, à les mettre en scène) aux us, jalousies et autres hypocrisies de ce monde à part, déconnecté d’une réalité qui, soudain, viendra cruellement se rappeler à lui. Un monde en apparence glamour et policé où tout et chacun est rigoureusement à sa place (les hommes travaillent, engendrent des millions, tandis que les femmes se font belles, rivalisent de perfection pour assurer le standing et le décorum), mais qui va révéler ses failles et ses travers, se craqueler de toutes parts quand l’argent s’y fera aussi rare que l’eau.
Et pour Sofía, héroïne presque tragique de cette satire raffinée, l’accomplissement du pire ne semble être l’idée même d’en manquer, mais par-dessus tout que cela se sache. Car le regard des autres épouses (pas épargnées non plus, comme si, pour elles, l’enjeu était de ne pas « tomber » la première) est, in fine, plus humiliant encore qu’un possible déclassement. Márquez Abella se gardera bien de les juger ou de les accabler, en faisant au contraire les victimes malgré elles (ou consentantes ?) d’une société, d’une condition qui les réduisent à de l’apparat, et dont Sofía (magnifique Ilse Salas), derrière ses rêves d’excellence et d’aventures avec Julio Iglesias, serait la figure altière et docile qui, à la fin, n’a (toujours) pas d’autre choix que de se taire, ou alors d’aboyer avec la meute.
Michaël Pigé