“Happy ever after / this place is a disaster.” Les premiers mots de So Removed, le premier album de WIVES, nouvelle sensation du Rock new-yorkais, ne laissent place qu’à peu d’ambiguïté : on est ici dans la digne continuité de ce que la Grosse Pomme, et même les USA ont produit de plus radicalement Rock en termes de « musique urbaine »…
On a beau dire, on a beau faire, et la musique a beau être de plus en plus planétaire, globale et dématérialisée, les artistes qui comptent sont le plus souvent marqués profondément par leur lieu d’origine : on ne fait pas la même musique si on a vécu son adolescence dans un coin perdu du Jura ou si l’on prend des drogues dans les impasses crasseuses de Queens, New York, même si dans les deux cas, on fait du Rock, fièrement et sans concessions.
Parlons donc aujourd’hui de l’un de ces nouveaux combos talentueux qui semblent éclore toutes les semaines dans la Big Apple, et qui perpétuent la fantastique saga du Rock new-yorkais : après le Velvet, les Ramones, Johnny Thunders, Sonic Youth ou les Strokes, il y a donc actuellement une résurgence bienfaisante d’activité dans cette ville qui reste donc la plus fertile pourvoyeuse en talents originaux. Et rebelles. Et intelligents. WIVES, on les a découverts avec le choc bienfaisant de leur Waving Past Nirvana, titre parfait pour recycler les oripeaux du grunge défunt et les dissoudre fièrement dans une atmosphère toxique que ne renierait pas Arthur Fleck – même si WIVES ne semblent absolument pas concernés par quelque contestation sociale ou politique que ce soit : “And your uncle, he wears a dress/With a shotgun and some meth/And no teeth where he peeks in his mirror to speak in tongues”. Une chanson qui, à sa manière, arrête le temps, et qui nous remémore combien la morgue déjantée new yorkaise nous est essentielle (le chanteur /guitariste James Beach chante pourtant plus comme Frank Black que comme Kurt Cobain, mais aucun des deux n’étant new yorkais, on dira que ce n’est pas très grave…).
L’une des particularités de WIVES, hormis une connaissance visiblement très intime de l’usage de toute une variété de drogues, c’est un processus créatif peu orthodoxe : une composition s’étalant non sans dilettantisme sur une période de deux ans, de longues improvisations en studio pour donner naissance à ces riffs, ces idées, qui deviendront ensuite de « vraies chansons », et recours à l’écriture automatique pour Beach. On pourrait craindre le pire, une sorte de complaisance arty, alors que c’est tout le contraire qui arrive ici, cette musique a une puissance organique qui complète extraordinairement son élégance gouailleuse.
So Removed ne maintient sans doute pas le même niveau de qualité tout au long de ses 40 minutes réglementaires, et se perd très occasionnellement – mais jamais très longtemps – dans des facilités punky (Whatevr…) que n’importe qui aurait sans doute pu composer, et qui ne prendront sans doute tout leur sens que sur scène : peu importe néanmoins, car lorsque les chansons de WIVES sont bonnes, elles sont vraiment remarquables ! The 20 Teems est par exemple une mini-hymne rock imparable, alors que Workin’ reprend dignement le flambeau là où le Velvet Underground de Heroin l’a laissé, au siècle dernier. Sold out Seatz fait joliment écho, de l’autre côté de l’Atlantique, aux déclarations d’intention d’un Art Brut, tandis que Hideaway recycle impudemment la joie power pop pour nous faire danser sur un refrain aussi improbable que « Doing All the Cocaine in the World »…
Et il y a toutes les chances que vous trouviez votre chanson préférée pour cet automne quelque part sur So Removed !
Eric Debarnot