Régulièrement critiqués pour leur cinéma jugé trop « commercial », Olivier Nakache et Eric Toledano continuent avec leur excellent Hors Normes à nous parler de l’importance du lien social.
S’il y a un fil conducteur qui traverse toute la filmographie, désormais conséquente, du « couple » Nakache / Toledano, c’est indiscutablement le thème du « lien social », et de son importance capitale, non seulement dans la structure de la société (une évidence,… que la polarisation actuelle des richesses et la disparition de la structure historique des classes met pourtant à mal…), mais pour la santé mentale et même physique des individus. Regarder ce remarquable Hors Normes comme un simple film militant – ce qu’il est, bien entendu, dans une certaine mesure, puisqu’il nous parle de l’exclusion, terrible, frappant les autistes psychotiques les plus extrêmes, pour lesquels il n’existe à l’heure actuelle en France aucune structure d’accueil qui ne soit psychiatrique – revient à réduire dramatiquement et son propos et ses ambitions.
Car ce dont nous parlent Nakache et Toledano ici, c’est bel et bien du fait que nul ne saurait se construire – comme dans le cas des jeunes des banlieues difficiles, auxquels assumer la responsabilité physique et morale de personnes démunies permet de sortir de l’exclusion – ni même survivre physiquement et mentalement – comme le font ces adolescents ou jeunes adultes autistes violents à qui on n’offre qu’enfermement et traitement chimique – sans le contact avec l’autre. C’est, nous l’avons dit, une sorte d’évidence, qui est pourtant niée par tous ceux qui militent aujourd’hui pour une société d’exclusion, qu’ils fassent partie des extrêmes politiques ou même des classes « supérieures » rejetant de plus en plus toute interaction en dehors de leurs « cercles ». Loin d’un idéalisme politique utopique, qui verrait tous les juifs et les musulmans dépasser leurs haines historiques et vivre ensemble, on voit dans Hors Normes comment le SOUCI DE L’AUTRE (comprendre l’autre, se préoccuper pour lui, et finalement se dépasser pour offrir à l’autre plus qu’il n’attend de vous…) permet à chaque individu de sortir lui-même du carcan social et émotionnel où tout son environnement l’enferme. Et ça, c’est tout le contraire d’un cinéma « feelgood » et simplificateur à l’américaine, c’est d’une grande justesse psychologique. Et médicale. Et sociale.
Nakache et Toledano ont d’abord réalisé un documentaire sur les deux associations d’aide aux autistes qui sont au centre de l’histoire de Hors Normes (a priori, on en voit des images lors du générique de fin…), mais sont passés à la fiction pour divulguer plus largement leur message. Le positionnement « populaire » d’un film comme celui-ci, avec deux acteurs français connus à l’affiche (Cassel, qui rame un peu d’être aussi loin de son terrain de jeu habituel, mais qui émeut souvent, et Kateb, comme toujours formidablement charismatique), ne signifie ni manichéisme ni chantage à l’émotion : ainsi, les agents de l’Administration ne sont pas ici des monstres inhumains, les autistes ne sont pas des victimes sur lesquels on larmoie, le rire venant souvent désamorcer les aspects dramatiques de certaines situations.
Terminons en parlant de certaines critiques qui se sont, une fois encore, gaussé de ce cinéma qu’ils jugent soit trop peu ambitieux, soit trop facile car séduisant « les masses ». Ce sont souvent les mêmes qui accusent un Ken Loach de manque de subtilité, ou qui ont récemment condamné un Joker en le jugeant « fasciste », « stupide », etc. (on garde à l’esprit une douloureuse émission du « Masque et la Plume* où la méchanceté et la bêtise de la critique parisienne s’est bien sombrement illustrée, au point où l’on pouvait se demander si ces gens avaient même vu le film…). Ce manque de respect, voire cette « haine » des « masses » qu’ils ne manquent jamais de manifester les condamne sans appel à être balayés par l’histoire, oubliés à l’image de tant de leurs semblables qui ont, à travers les années, méprisé le travail de gens qui ne faisaient tout simplement pas partie de leur « milieu ».
En attendant, ignorons-les, et réjouissons-nous d’avoir en France, deux cinéastes réellement « populaires », travaillant avec intelligence et sensibilité à nous réconcilier. Entre nous et avec les plus démunis de notre société qui perd de plus en plus son âme. Cette réconciliation est en effet le seul remède possible à la barbarie qui paraît gagner chaque jour du terrain.
Eric Debarnot