Partagés entre une légère déception suite à la sortie de son dernier album, Office Politics, et le désir de voir Neil Hannon renouveler sa Divine Comedy, nous avons été finalement emballés, puis bouleversés par son concert à la Salle Pleyel.
Nous sommes nombreux à penser que Neil Hannon est depuis plus de 25 ans le plus grand compositeur “pop Classique”, le seul artiste sur la planète capable de continuer après une douzaine d’albums à nous émerveiller systématiquement à chaque nouvelle parution, avec des chansons splendides. Or, en 2019, Hannon nous a surpris avec un double album conceptuel – sur la sauvagerie de la vie de bureau et de l’économie -, Office Politics… Un double album qui le voyait sortir de sa zone de confort pour aller se frotter à l’électronique, au funk et à l’expérimentation. On avait donc hâte de constater comment cette nouvelle aventure se traduirait sur scène… On avait eu en outre de bons échos du concert de la veille à Bruxelles… malgré un Neil souffrant de problèmes de gorge !
The Divine Comedy à Pleyel, ce n’est bien sûr pas complètement antinomique (comme a pu l’être le passage de Cake dans la même salle voici peu…), mais ce n’est quand même pas idéal… surtout si l’on se souvient du formidable écrin qu’ont constitué les Folies Bergère lors du passage précédent de Neil à Paris. Outre la scène trop haute, sans crash barriers, le traitement absurde des photographes accrédités parqués au fond de la salle (!!), un certain manque de considération du staff envers le public Rock sans doute perçu comme indigne de lieux qui ont accueilli Mireille Mathieu, le fait que la grande majorité du public soit assise est un tue-l’ambiance garanti…
20h : la soirée commence avec Man & the Echo, un quatuor anglais à l’excellente réputation, entre tradition Northern Soul et textes politiquement engagés mais narquois, qui nous propose sa pop mélodieuse et funky : une musique qui, paradoxalement, sonne à la fois très directe dans son invitation à onduler des hanches, et plutôt intelligente. Les lyrics sont en effet bien troussés, pince-sans-rire. Et puis, ce n’est pas si courant pour un groupe anglais d’écrire une chanson sur Roland Barthes et de l’appeler Operation Margarine ! Le chanteur a une bonne voix, les rythme sont originaux et il y a même çà et là de jolies montées en puissance. Malheureusement les deux premiers morceaux (On Safari et Give Me The Pomp) sont les plus accrocheurs et ensuite on perd peu à peu en intérêt. Reste une bonne sensation de groupe talentueux et original qu’on a envie de découvrir.
21h : Le décor sur scène laisse craindre une transformation du concert de The Divine Comedy en une petite pièce de théâtre, ce dont nous n’avons pas vraiment envie, honnêtement : double porte IN / OUT, bureau avec chaise, lampe et ordinateur allumé, divers accessoires illustrant le thème de Office Politics… Le groupe – guitariste, bassiste, batteur et deux claviers ! – est en noir et blanc, vêtu de manière assez formelle, sinon corporate, mais Neil porte un superbe costume rouge vermillon. Neil fait un peu plus son âge qu’avant (49 ans !), petite barbe et lunettes de vue (qu’il quittera un moment en prétextant qu’il « a peur de nous voir trop nets, et qu’il préfère que le public soit flou… »). Il a l’air en outre assez fatigué, et sa voix n’a pas sa splendeur habituelle, ce dont il s’excusera plusieurs fois…
Le groupe attaque fort avec une version hyper dansante de la merveilleuse scie électro-pop Europop, avant d’enchaîner avec une version elle aussi très swinguante de To Die a Virgin. Même si durant ces deux morceaux, la voix de Neil est un peu sous-mixée, le son sera ensuite parfait, et hormis des difficultés à monter dans les aigus – sur I Like, que Neil dira hésiter à chanter – nous n’aurons aucune raison de nous plaindre des performances vocales de celui qui est quand même l’un de nos chanteurs préférés ! Commuter Love, assez peu fréquemment joué nous semble-t-il confirme, après l’évidence de Generation Sex, la volonté de Neil de renouveler (enfin ?) l’expérience live qu’il nous offre : nombreux sont ceux qui se plaignent de setlists faisant la part trop belle aux éternelles mêmes chansons, alors que le song book de The Divine Comedy regorge de merveilles !
Neil nous embarque alors dans le récit au long court de Office Politics, qui dévoile en live beaucoup plus de charmes… même si le tunnel expérimental de The Synthesiser Service Centre Super Summer Sale reste toujours aussi vain et même pénible : la sélection des huit autres morceaux joués ce soir est en fait impeccable, du fracas Rock inhabituel (pour Neil Hannon…) de Infernal Machines au déchirant I’m a Stranger Here, cri de détresse de ceux qui sont de plus en plus déphasés, voire abandonnés sur le bas-côté par une société obnubilée par sa marche en avant. Mais, avouons-le, c’est quand même le bref retour au Divine Comedy éternel du génial To the Rescue qui provoque en nous la première grande, grande émotion de la soirée. Eh oui, nous qui réclamions à grands cris du changement, nous voilà ridiculement comblés par la plus classique des chansons jouées ce soir !
Le set entre dans sa dernière ligne droite, avec un retour aux crowd pleasers éternels – le toujours jouissif National Express, ou le bouleversant Lady of a Certain Age, peut-être d’ailleurs le meilleur texte jamais écrit par Neil. Neil, qui n’en peut plus vocalement, tousse beaucoup et doit avaler gorgée d’eau sur gorgée d’eau pour pouvoir encore chanter.
Le rappel sera, logiquement, un peu écourté, et nous serons privés de notre premier amour, un Daddy’s Car prévu sur la setlist. Mais il nous restera deux immenses moments d’une beauté somptueuse : encadré – de très près – par toute sa troupe, Neil nous offre deux versions épurées, près de l’os, de Songs of Love, et surtout de Tonight We Fly, qui nous mettent, littéralement les larmes aux yeux : « And when we die / Oh, will we be / That disappointed / Or sad / If heaven doesn’t exist ? / What will we have missed ? / This life is the best we’ve ever had »…
The Divine Comedy mérite toujours plus son nom dantesque, même lorsque les ambitions symphoniques et lyriques de Neil sont mises de côté comme en ce moment, pour sonner plus direct, plus Rock même. The Divine Comedy, même lorsque Neil cherche une nouvelle voie pour son projet, reste l’une des expériences scéniques les plus bienfaisantes qui soient ; entre rires et larmes, entre nostalgie et espoir, entre colère et bienveillance, nous avons parcouru en 1h40 toute la gamme des sentiments humains.
Qui dit mieux ?
Texte et photos : Eric Debarnot
La setlist du concert de Man & the Echo :
On Safari (Men of the Moment – 2019)
Give Me The Pomp (Men of the Moment – 2019)
Life On An Island (Men of the Moment – 2019)
Operation Margarine (Man & the Echo – 2016)
A Capable Man (Men of the Moment – 2019)
Filthy Jack Pye (Men of the Moment – 2019)
The Girl From Hamburg (Men of the Moment – 2019)
La setlist du concert de The Divine Comedy :
Europop (Liberation – 1993)
To Die a Virgin (Victory for the Comic Muse – 2006)
Generation Sex (Fin de Siècle – 1998)
Commuter Love (Fin de Siècle – 1998)
Office Politics (Office Politics – 2019)
Norman and Norma (Office Politics – 2019)
Come Home Billy Bird (Absent Friends – 2004)
‘Opportunity’ Knox (Office Politics – 2019)
To the Rescue (Foreverland – 2016)
The Synthesiser Service Centre Super Summer Sale (Office Politics – 2019)
Infernal Machines (Office Politics – 2019)
You’ll Never Work in This Town Again (Office Politics – 2019)
I’m a Stranger Here (Office Politics – 2019)
At the Indie Disco (Bang Goes the Knighthood – 2010)
I Like (Bang Goes the Knighthood – 2010)
National Express (Fin de Siècle – 1998)
After the Lord Mayor’s Show (Office Politics – 2019)
A Lady of a Certain Age (Victory for the Comic Muse – 2006)
Absent Friends (Absent Friends – 2004)
When the Working Day Is Done (Office Politics – 2019)
Encore:
Songs of Love (Casanova – 1996)
Tonight We Fly (Promenade – 1994)