Le new-yorkais Warren Hildebrand reste encore trop à la marge de votre reconnaissance avec son projet Dream Pop Foxes In Fiction. Trillium Killer, son troisième album plus ouvert et plus lumineux que le précédent de 2014, Ontario Gothic, vous permettra peut-être de réparer cette injustice et au passage de découvrir un artiste attachant.
Au cahier des charges que l’on peut avoir en terme d’attente quand on s’empare d’un disque estampillé Dream Pop, on sera en droit d’entendre les termes onirique, planant et envoûtant souvent épuisés jusqu’à l’ennui. Parmi la pléthore de groupes qui se revendiquent de cette étiquette, peu parviennent à dépasser les canons du genre. Prenez Beach House qui se fourvoie dans des disques trop prévisibles, ne parlons même pas de Memoryhouse que l’on a perdu dès le premier album. Il n’y a guère que les vétérans de Blonde Redhead qui tirent leur épingle du jeu. Il vous faudra compter également avec Foxes In Fiction, projet injustement méconnu de l’américain Warren Hildebrand.
Ce qui anime ce disque, c’est sans doute la versatilité inventive de son créateur. Déjà sur les deux disques précédents, on entendait chez Warren Hildebrand une volonté à noyer le poisson avec mille et une propositions. Ontaro Gothic (2014) ressemblait plus à une forme de patchwork, de remontée dans le temps musical, piochant aussi bien dans le Doo-Wap que dans le Shoegaze, tirant des filiations possibles entre le psychédélisme opiacé et une Soul sèche, entre minimalisme de l’éxécution et sens du détail qui fait tout.
Trillium Killer poursuit sur la même lancée dans des structures à la fois fantasques et évidentes. Ce qui est remarquable c’est la voix androgyne de Warren Hildebrand qui se teinte de pas mal de brumes On croise ici et la le Bradford Cox d’Atlas Sound, Owen Pallett avec qui le new-yorkais avait collaboré sur Ontario Gothic.
Là où de nombreux disques Dream Pop ne dépassent jamais guère une posture contemplative à l’humeur maussade, Trillium Killer est lui un disque multipolaire aux extrêmes qui s’attirent, un objet qui s’amuse de l’attirance et de la répulsion. Là où d’autres font dans la simplicité, lui cultive une forme de complexité taiseuse, on perçoit bien chez lui un savant calcul mais la sophistication qui se montre n’est pas de mise chez Foxes In Fiction. Cry, le dernier né de Greg Gonzalez et de son groupe Cigarettes After Sex souffre de la comparaison toute proportion gardée avec Trillium Killer, officiant tous les deux dans la Dream Pop, les références ne sont pas toutes à fait les mêmes ou plutôt sont-elles finalement transcendées par Warren Hildebrand que vaguement digérées par le groupe d’El Paso.
Plus maîtrisé dans sa construction que ses deux aînés, Trillium Killer est tout de suite accueillant et vibrant/ On imagine aisément Warren Hildebrand travaillant minutieusement, au bord de la maniaquerie chacun des éléments fragiles de ce qui n’est pas encore une chanson dans la pénombre de sa chambre; une forme de Bedroom Pop. Pour autant, l’américain ne se vautre jamais dans une ambiance ouatée trop confortable. Au contraire, il s’appuie sur un réalisme assez cru dans les textes, prenez Antibody et son évocation du HIV.
Conjuguant aussi bien la torpeur, l’ennui et l’énergie, Trillium Killer distille une ambiance, un climat étrange et curieux. On sent le monsieur éminemment torturé, peut-être même un peu dérangé. Avec la production nuancée et délicate de Rafael Anton Irisarri, chacun des titres ressemble finalement plus à une narration, à la découverte d’un personnage, aux voix qui habitent la tête de Warren Hildebrand comme un acteur qui ne jouerait que les facettes fluctuantes d’une seule et unique personnalité.
D’une tristesse jamais totalement affirmée et d’une mélancolie sans fond, la musique de Warren Hildebrand est à la fois diablement attirante et perturbante.
Greg Bod