Dans les années 90, alors que le Brésil émerge de la crise financière qui a laminé sa classe moyenne, une jeune avocate issue d’un milieu défavorisé va faire un certain nombre de choix désastreux. Frères de crime confirme, après Troupe d’Elite ou la Cité de Dieu, combien le thème classique de la violence criminelle permet au cinéma brésilien (et ici à la série) de traiter de manière spectaculaire les nombreux problèmes sociétaux du pays.
Irmandade signifie « fraternité », un jeu de mots judicieux entre le nom de la faction criminelle menant la rébellion contre le système pénitentiaire au sein d’une prison de São Paulo, qui est au centre du récit, et les liens du sang unissant les 3 protagonistes de l’histoire (traduit assez moyennement en Frères de Crime en français et beaucoup mieux en Brotherhood en anglais) : toute l’histoire de cette première saison d’une nouvelle série brésilienne produite par Netflix est parfaitement résumée. Cette chute – progressive mais vite vertigineuse – dans l’illégalité, puis le crime d’une jeune avocate dont la vie va sombrer – un peu à la manière de celle du Harry White de Breaking Bad – résulte certes, à la manière classique des films noirs, d’une succession de mauvais choix, mais était-elle réellement évitable ? Dans le Brésil des années 90, très joliment recréé, alors que le Real s’impose et met fin à l’inflation galopante, permettant à la classe moyenne de réémerger – et à Fernando Henrique Cardoso de se faire élire président ! -, et que la Seleção épingle une quatrième étoile de Coupe du Monde sur son maillot, la démocratie est encore fragile, les abus policiers répondent sans états d’âme à la violence des narcotrafiquants : quelle chance avait en effet la jeune avocate issue des classes défavorisées de rester à l’écart du monde du crime où son grand frère s’était englouti depuis une vingtaine d’années ?
Cet aspect social, cette justesse politique et humaine de Irmandade lui permet de trancher franchement par rapport au tout-venant des séries Netflix, sans que, bien entendu, le côté spectaculaire soit négligé : de bonnes scènes d’action réalistes et violentes, pas mal de suspense bien géré (la palme revenant à la longue scène d’évasion du pénitencier, coordonnée avec la finale contre l’Italie au Rosebowl de Los Angeles…), des personnages globalement attachants compensent certaines invraisemblances d’un scénario qui choisit régulièrement la facilité pour justifier l’enfoncement de ses personnages dans le chaos et les échecs à répétition de leurs tentatives d’en réchapper. Si la construction, très improbable, du fameux tunnel teste franchement notre patience, c’est néanmoins le problème fondamental de voir deux jeunes femmes assumer le commandement d’une organisation criminelle qui reste le plus gros mensonge d’une série qui, pour mettre en avant ses (beaux) personnages féminins, oublie un peu vite le machisme violent qui régnait alors dans la société brésilienne (… et qui règne encore largement…!).
Ces quelques réserves sur ces facilités qui trahissent un peu l’ambition de Pedro Morelli ne doivent pas nous empêcher de profiter d’une belle série, rêche, portée en outre par une interprétation globalement convaincante, dont se détache quand même l’impressionnant Seu Jorge, qui dans la lignée de ses rôles dans Troupe d’Elite ou la Cité de Dieu, nous ferait presque oublier quel musicien subtil il sait également être !
Eric Debarnot