Si le dernier film de Mike Flanagan, Doctor Sleep, déçoit par rapport aux attentes – sans doute trop hautes – qu’avait générées la réussite de son Haunting of House Hill, c’est plutôt la volonté de revenir sur les traces de The Shining qui pose problème dans un film qui aurait pu être bien meilleur sans cela.
Stephen King, lorsqu’il avait écrit Doctor Sleep, avait pris grand soin de tenir sa fiction et ses personnages à distance de l’hôtel Overlook, préférant explorer d’autres thèmes, relativement nouveaux, comme le vampirisme, ou classiques chez lui, comme le rapport au père ou comme le contrôle de soi. Mike Flanagan, qui s’est imposé ces dernières années comme me plus « kingien » des jeunes réalisateurs – une sorte de version actuelle, notablement plus talentueuse aussi, de Darabont -, grâce à Jessie et surtout l’extraordinaire Haunting of Hill House, n’avait pas grand chose à faire pour transformer le bouquin du vieux maître de Bangor en un beau film : appliquer son sens remarquable de la narration et de la mise en scène, et choisir de bons acteurs pour incarner Jack Torrance et Rosie the Hat… ce qu’il a d’ailleurs fait avec Ewan McGregor et surtout la fascinante Rebeca Ferguson.
On est donc bien obligé de s’interroger sur la terrible idée derrière Doctor Sleep, le film, d’aller se confronter à la mythique oeuvre kubrickienne : exigence de la production pour rameuter dans les salles des « cinéphiles purs et durs » qui n’auraient pour rien au monde été voir un « simple film fantastique » ? Ou bien délire personnel de Flanagan voulant se confronter à un film fondateur ? Ou encore réappropriation par l’univers « kingien » d’un classique qui lui avait échappé (on se souvient comment King avait renié The Shining, envers et contre toute logique !) ? Toujours est-il que cette décision joue complètement contre le film, et l’empêche clairement d’être la réussite espérée.
D’abord parce que, dans la tête du spectateur, cette revisite des lieux et des codes de The Shining provoque automatiquement un second degré incompatible avec son implication dans la fiction : à force de comparer avec l’original la re-création de personnages, de plans et même de scènes entières (dieu merci, l’honnête homme que semble être Flanagan nous a évité la CGI et la composition virtuelle de Nicholson et consorts !), il est malheureusement difficile de se sentir immergé dans Doctor Sleep ! Le second problème est que, en dépit d’un travail de réécriture soigné, effectué par Flanagan lui-même, réussissant à créer des liens inédits entre les deux œuvres – le film de Kubrick et le livre Doctor Sleep de Stephen King -, le film a tout d’une barque trop pleine d’idées, de thèmes et de personnages, auxquels les deux heures et demi de sa durée n’arrivent pas à rendre honneur. C’était déjà, il faut l’admettre, un problème de l’ouvrage original qui abandonnait son thème initial d’accompagnement pour franchir le seuil de la mort pour se concentrer sur l’affrontement avec les « vampires », mais c’est évidemment pire encore ici, puisqu’on ressortira du film sans avoir bien saisi ce qu’il voulait vraiment nous dire.
Reste que, malgré ces réserves de taille, Doctor Sleep est un film fantastique plaisant, qui n’actionne jamais gratuitement des mécanismes pavloviens de la peur, mais qui n’essaie pas non plus de jouer – non sans arrogance – dans la catégorie « films d’auteur » comme c’est désormais la tendance du genre. Le film de Flanagan, en particulier dans sa très belle première partie, la plus fidèle au livre d’ailleurs, déborde d’attention envers ses personnages et leur univers, avant de nous montrer une horreur qui réside plus dans le comportement inhumain de la meute des « chasseurs » que des éléments classiquement surnaturels de son histoire. Si l’on ajoute que le film ne recule pas devant les conséquences de son sujet, en particulier les meurtres d’enfants et la liquidation de personnages que les scénaristes d’Hollywood protègent en général dans leurs scripts, on doit donc admettre que Flanagan ressort de cette aventure avec sa crédibilité plus ou moins intacte.
On attend maintenant la suite de son travail.
Eric Debarnot