Mercredi soir, quelque chose de réellement miraculeux est advenu lors du concert dans un Trianon archi-complet de l’un des groupes les plus prometteurs du Rock français, Last Train. On y était, on vous raconte…
Choix difficile ce mercredi soir à Paris pour tout amateur de musique à la recherche d’émotions fortes : entre The Murder Capital, Last Train et Jay Jay Johanson qui jouent en même temps dans la capitale (et dans trois salles complètes…), notre cœur balance… Mais c’est l’excellente réputation scénique des Français de Last Train qui nous convaincra que ce 6 novembre, ce serait au Trianon qu’il fallait être… Et a priori, vu les visages en larmes des spectateurs sortant du set à 22h30, notre décision aura été la bonne… Mais revenons en arrière de quelques heures…
19h50 : Bandit Bandit est un combo lyonnais – en fait un duo / couple originaire de Montpellier, semble-t-il, renforcé par deux musiciens solides – qui, en 40 minutes puissantes, va lui aussi confirmer l’excellence de la nouvelle vague française. Vénéneuse, sensuelle, voici une musique qui emporte l’adhésion, et ce dès l’intro martelée de Néant. Le ballet des musiciens sur scène est inspiré, la musique pousse vers la transe. On pense – visuellement – à The Kills, dans le style danse de chats sauvages, mais la pulsation de la batterie nous enfonce des clous dans le crâne, avec un acharnement qui tient de la torture (une douce torture !)… Maëva chante comme une égérie des sixties – tantôt en anglais, tantôt en français – mais se laisse happer magiquement par l’extase. Le set se clôt un peu plus faiblement qu’il aurait dû, à la lisière seulement du chaos : pas certain que clore un concert garage-psyché par une mélodie au tzoura soit la meilleure idée de l’année… Bandit Bandit, c’est superbe, même si on sent que le groupe se retient un peu encore – le trac d’affronter le public parisien d’un Trianon complet ? -, et même si on regrette que le set n’ait jamais basculé dans l’hystérie comme le talent de –le promettait. A revoir très vite pour une confirmation…
21h : Le Trianon est rempli jusqu’à la gueule ce soir d’un public à l’enthousiasme délirant pour accueillir les Alsaciens préférés de la planète Rock française, un groupe dont la renommée a grossi, grossi, ces 2 dernières années au fil de prestations live dantesques qui positionnent désormais Last Train comme le plus plausible héritier de la couronne de plus grand groupe populaire national (… si une telle chose existe encore, des décennies après Téléphone et Noir Désir !)… Et ce, en s’appuyant sur une musique qui est tout sauf commerciale, qui ne caresse personne dans le sens du poil : il n’est d’ailleurs pas aussi facile de qualifier, de cataloguer Last Train que l’on pourrait le penser a priori. Jean-Noël, l’explosif chanteur, sonne comme un Liam Gallagher recyclé grunge, tandis que le “rock à guitares » du groupe n’est pas tant dans la lignée indie noise (The Jesus & Mary Chain / Black Rebel Motorcycle Club) que leur style vestimentaire et leur amour de l’obscurité déchirée de flashs de lumière blanche le laisseraient imaginer. Non, dès le premier morceau de la soirée, All Alone, il est clair que le déferlement de puissance sonore et les montagnes russes émotionnelles de Last Train n’appartiennent qu’à eux, et aucune référence commode ne résiste devant cette vague de sensations qui oscille entre post-rock abstrait et hard-blues dantesque, où les deux guitares de Jean-Noël et de Julien dialoguent et construisent un fulgurant labyrinthe d’extases dans lequel nous sommes tous invités à nous perdre.
Esthétiquement, ce que propose Last Train est tout bonnement superbe : de la disposition symétrique et rectiligne du matériel – avec l’alignement parfait des amplis Marshall de part et d’autre de la batterie bien au centre, à l’éclairage majoritairement blanc, en passant par le look strict et élégant des quatre musiciens, le soin apporté à l’aspect visuel est frappant (à l’image de la pochette du nouvel album, The Big Picture…). Mieux encore, sur une grande scène bien dégagée, la chorégraphie des trois musiciens arrive à la fois à être passionnante et spontanée : Last Train a un sens du – disons-le sans crainte – spectacle rock’n’roll (les gestes, les poses, les mouvements, toute cette élégance rageuse, toute cette classe impérieuse qui distinguent le Rock des autres musiques…) qui tranche avec le tout-venant. Bien entendu, le son est énorme, clair et parfait… même si le fait que nous soyons sortis de ce pandémonium de furie guitaristique sans acouphènes nous fait forcement regretter une époque où l’on pouvait encore jouer vraiment fort en live.
Last Train aborde clairement ce concert dans un Trianon sold out, où nous découvrirons aussi que les familles des jeunes musiciens ont pris place au balcon, comme une étape symbolique importante de leur carrière, comme une sorte d’apogée temporaire de leur encore brève carrière. Ce soir, les quatre amis vivent leur rêve, et, devant un public extatique, conquis depuis le premier riff, ils vont avoir à cœur de nous offrir le meilleur de leur musique. Plus le set avance, plus l’enjeu semble élevé, et plus le pari paraît audacieux mais réussi. On l’a dit, la musique de Last Train n’est pas si aisément saisissable que cela, oscillant au cours de longues fresques sonores entre une sorte de classicisme du Rock à guitares heavy – de Led Zep à Nirvana (n’ayons pas peur des références lourdes !) et une expérimentation plus abstraite, déchirante et déconstruite qui les rapproche de leurs pairs des Psychotic Monks. On regrette par instants le manque de chansons plus directes, plus « pop » peut-être, qui offriraient une éclaircie au milieu d’un parcours à si haute teneur émotionnelle, mais on se laisse happer à nouveau très vite par la frénésie et la tension exceptionnelles de cette musique en lévitation.
Une heure s’est presque écoulée sans que nous y ayons pris garde, Jean-Noël marche littéralement sur l’eau, porté par la foule dans une fosse irradiante. C’est un grand moment. Mais le rappel va encore faire exploser tout cela, nous emmener plus loin encore. Vers les larmes. Car ce rappel de trois titres alternant violence libératrice (Cold Fever) et douceur sublime (The Big Picture, immense morceau épique, qui sera l’absolu triomphe de la soirée) va voir advenir l’un de ces miracles si impensables, si rares qu’ils justifient à eux seuls une vie entière à faire ou à écouter de la musique. Tous les remerciements ont été formulés, les papas et mamans et les amis debout au balcon ont vu le triomphe de leurs enfants, les attentes du public ont été satisfaites, la soirée a été superbe, on n’espère plus rien d’autre…
Quand d’un coup, la digue se fissure, puis cède. Devant nous, juste devant nous, dans l’obscurité, les larmes se mettent à ruisseler sur le visage de Julien. Le chant magnifique de Jean-Noël semble se briser, la musique bascule dans un souffle vers autre chose : la grâce, le sublime, une sorte d’extase totale comme on en connait une ou deux fois, au mieux, chaque décennie. Les dernières minutes de ce concert seront comme une mise à nu de toutes nos émotions enfouies, qui se libèrent enfin sans retenue. Les lumières se rallument, la musique s’arrête. Sur scène, les musiciens s’enlacent, s’embrassent, en larmes. Autour de nous, plein de gens vivent la même chose : ici et là, on se serre dans les bras, on sanglote même. On ne se souvient même plus de la dernière fois où l’avoir vécu ça, une telle catharsis, une si belle libération.
Last Train nous remercie, mais c’est bien nous qui devons les remercier, encore et encore, pour ce qu’ils nous ont offert ce soir : un cadeau de vie, de beauté et d’amour. La preuve que la Musique est toujours l’Art majeur, qui fait résonner à l’unisson nos âmes et nous élève.
Last Train, au Trianon, le mercredi 6 novembre 2019. Une pierre blanche.
Texte et photos : Eric Debarnot
https://www.youtube.com/watch?v=MJIbwxv2Xgw
Les musiciens de Bandit Bandit :
Ari Moitier – basse
Anthony Avril – batterie
Hugo Herleman – guitare, voix
Maëva Nicolas – chant
La setlist du concert de Bandit Bandit :
Néant
Dimension
Fever (Bandit Bandit EP – 2019)
Siamese
Maux (Bandit Bandit EP – 2019)
Pixel (Bandit Bandit EP – 2019)
Nyctalope (Bandit Bandit EP – 2019)
Tachycardie
Les musiciens de Last Train sur scène :
Jean-Noël Scherrer (chanteur et guitariste)
Julien Peultier (guitariste)
Timothée Gerard (bassiste)
Antoine Baschung (batteur)
La setlist du concert de Last Train :
All Alone (The Big Picture – 2019)
Way Out (Weathering – 2017)
House on the Moon (Weathering – 2017)
On Our Knees (The Big Picture – 2019)
One Side Road (Fragile EP – 2016)
Between Wounds (Weathering – 2017)
Disappointed (The Big Picture – 2019)
Fire (Weathering – 2017)
Leaving You Now (The Holy Family EP – 2015)
Encore:
Tired Since 1994 (The Big Picture – 2019)
Cold Fever (Weathering – 2017)
The Big Picture (The Big Picture – 2019)