Entouré de la même équipe qui avait travaillé sur son album précédent et l’avait propulsé sur le devant de la scène, Michael Kiwanuka revient avec sérénité sur cet album éponyme où soul et rock se frictionnent à merveille.
Après deux albums auréolés de succès, Michael Kiwanuka s’est solidement ancré dans le paysage soul. Souvent comparé aux pontes que sont Solomon Burke, Marvin Gaye et autres Curtis Mayfield, j’ai pourtant toujours eu du mal à rentrer dans son univers. Un pathos un peu caricatural, également présent chez son compatriote Benjamin Clementine, flottait autour de sa musique et le privait du mysticisme de Moses Sumney, évoluant dans une sphère voisine.
Avec cet album éponyme, l’éclectisme est assumé pour le plus grand plaisir de nos oreilles. Après son excellente collaboration avec Tom Misch cet été, Michael s’en retourne à ses premiers amours soul, mais teinte sa musique d’un vernis rock qui donne plus de corps à ses compositions. Du haut de sa saturation, la guitare électrique domine des morceaux tantôt lyriques, tantôt bruts. Le clin d’œil à Hendrix (« Hero ») est évident, mais la patte de Danger Mouse et Inflo, à la production, évite l’écueil du pastiche et réussit au contraire à insuffler une fraîcheur rétro à l’album. « I’ve Been Dazed », tout en sérénité, rappelle pourtant les Smashing Pumpkins de « Cherub Rock » avant de laisser place à une magnifique orchestration de cordes qui sublime quelques autres morceaux (« Hard To Say Goodbye », « Interlude (Loving The People) »).
La puissance des lyrics tient dans leur sobriété. Invoquant des grands thèmes humanistes sans spécifier sa pensée, Michael chante des odes à la résilience. « Hero », inspiré du militant des Black Panthers, Fred Hampton, ne donne aucune clé de lecture concrète. Loin des pamphlets sociétaux en vogue dans la Black Music (Jamila Woods et Rapsody étant les deux derniers exemples en date), l’abstraction sémantique de Michael garantit un universalisme que chacun pourra faire sien.
Le projet musical, lui, est bien personnel. Son flegme est autant stigmatisant musicalement que sa coupe afro est un marqueur identitaire. En choisissant d’assumer son nom propre, le britannique d’origine ougandaise tourne le dos à la bien-pensance de l’industrie musicale qui l’incitait à se trouver un nom de scène. « I won’t change my name / No matter what they call me » chante-t-il. C’est aussi ça l’héroïsme. D’où le grandiose de son portrait en jaquette. Loin d’être une référence à Bokassa, il faut y voir une affirmation de sa personnalité. Car si cet album propose une musique parfois plus brute, Michael n’en délaisse pas moins les thèmes poignants qui ont construit sa stature d’artiste. « Solid Ground » et « Another Human Being » sont de ceux-là.
Rondement mené avec ses 50 minutes d’écoute de musique sans interruption, voici un album qui devrait convaincre les fans de la première heure et les sceptiques, ceux qui ont découvert le britannique grâce à la bande originale de Big Little Lies et les autres, pour qui l’association de Michael avec une série TV rime forcément avec The Get Down.
Willy Kokolo