Si les toutes premières écoutes de Colorado, album du grand retour du vieux Neil avec son « cheval fou » qu’il n’avait pas chevauché depuis 7 ans, déçoivent un peu, la vieille magie ne tarde pas à renaître.
« You might say that I’m an old white guy… », c’est ainsi que Neil Young, 73 ans, introduit She Showed Me Love, la seule chanson de son nouvel album, Colorado, (le premier publié, depuis sept ans quand même, sous le nom emblématique de Neil Young & Crazy Horse…) qui sonne vraiment comme du Crazy Horse… avant de se perdre dans une répétition de plus en plus épuisée du fameux « système » mis au point en 1969 avec Everybody Knows This Is Nowhere : une rythmique simpliste et lourde, et Neil qui balance un solo interminable – mais viscéral – basé sur quelques notes grinçantes, suraiguës, qui semblent extirpées, et douloureusement encore, de notre inconscient collectif. She Showed Me Love parle très simplement du mal que les vieux blancs comme lui ont fait à la planète, avec une sorte de résignation typique du passage des années, une résignation pourtant toujours assortie de cette colère que le Loner a si souvent manifestée au cours de sa longue carrière. Voilà, ce titre de plus de 13 minutes devrait être le sommet de Colorado. Il ne l’est pas…
Appeler Crazy Horse le duo de survivants constitué par Billy Talbot (le bassiste) et Frank Molina (le batteur) constitue une licence poétique – le rappel du brillant Nils Lofgren, près de 45 plus tard (!), pour compléter le casting, aurait pu fonctionner si Neil l’avait autorisé à jouer un peu de guitare, ce qui ne sera quasiment jamais le cas ici. Crazy Horse, on le sait depuis longtemps, c’est plutôt un état d’esprit pour Neil : une manière plus cool, moins exigeante pour lui de faire de la musique, qui lui permet d’être simplement lui-même. Si sa collaboration avec les petits jeunots de Promise of the Real a donné de beaux résultats, en particulier en live, on comprend en écoutant Colorado combien ils ont fait sortir le vieux tigre de sa zone de confort, et donc combien il semble heureux d’y revenir, le temps d’un nouvel album, qui s’inscrit naturellement dans la ligne d’un Zuma ou même d’un After the Goldrush… Le génie en moins, nous rétorquera-t-on ? Oui, incontestablement, il y a longtemps que Neil n’écrit plus de GRANDES chansons qui resteront dans l’histoire de la Musique. Et pourtant, les sentiments que fait naître en nous l’écoute de Colorado sont-ils si différents de ceux que ces deux albums provoquaient ?
Prenez Green is Blue, par exemple, cette mélancolie tremblante, cette émotion presque naïve, ou encore le bouleversant final de I Do, l’une des choses les plus personnelles que Neil ait écrites depuis longtemps : ces deux chansons n’ont-elles finalement pas le même impact que les After the Goldrush ou les Don’t Let It Bring You Down de 1970 ? Et la plaisante ritournelle au piano de Eternity, n’est-elle pas un écho parfait, même pas assourdi, de chansons aussi simples, aussi efficaces, que Neil composait à cette même époque ? Oui, il y a dans Colorado la même rage (Shut It Down, parfait !) du vieil ex-hippie encore plus révolté contre « le Système » qu’il ne l’a jamais été, et qui utilise encore et toujours l’électricité et la distorsion sur un vieux refrain bâclé et bancal. On retrouve ici un peu de la mélancolie magique de Cortez the Killer dans un Milky Way littéralement enchanté, et qui compense largement quelques passages à vide d’un album irrégulier… comme l’a finalement été une bonne partie de la discographie de Neil Young !
Qu’on aime ou qu’on n’aime pas ce Colorado (parce qu’il faut passer outre une impression générale de « bricolage » qui choque par rapport au perfectionnisme stérile d’une bonne partie de la production musicale contemporaine), il est de toute manière impossible de ne pas y entendre une sincérité désarmante. Et de la part d’un « vieux Blanc » comme Neil, après plus de 50 ans de carrière, c’est une excellente, voire même une formidable nouvelle !
Eric Debarnot