Grosse attente au Bataclan envers les jeunes espoirs du Rock irlandais, Fontaines D.C., après leur défection à la Villette Sonique. Ont-ils été au niveau ? Le débat est ouvert…
Dublin brûle-t-il ? Cela fait des mois que le buzz enfle autour de la jeune scène post-punk de la capitale irlandaise, particulièrement autour de deux groupes qui excitent au plus haut point le public parisien, The Murder Capital et, surtout, Fontaines D.C. : un groupe qui remplit quand même un Bataclan en quelques heures, après un premier passage au Point Éphémère en avril dernier (passage qui a fait beaucoup de bruit !), et un seul album, Dogrel, il est vrai très réussi. Grosse, grosse attente donc ce soir, et beaucoup d’excitation et de joie dans la queue Boulevard Voltaire…
20 h : The Altered Hours, c’est la version dublinoise du shoegaze : 40 minutes de bruit saccadé, obsessionnel, dans un brouillard sonore opaque. Mais les voix sont sous-mixées et la basse au contraire trop omniprésente, et cette mauvaise balance – rare au Bataclan – nous privera du plaisir que cette approche rageuse aurait pu nous assurer. C’est dommage, car sinon, on gage qu’on aurait plus apprécié cette combinaison voix féminine (une chanteuse blonde en colère qui a dû apprendre à se faire entendre au milieu du choc des pintes dans les pubs) / voix masculine (un guitariste frisotté à la belle prestance scénique), cette section rythmique brutale et inarrêtable, ces guitares portées à l’incandescence. Là, pour ce coup, on a eu du mal à entrer dans le set, qui nous a paru parfois un peu stérile malgré sa radicalité. Même s’il faudra les revoir dans de meilleures conditions, The Altered Hours, qui ne manifestent pas trop d’influences évidentes, confirment en tous cas l’intérêt de la scène dublinoise actuelle.
21h15 : c’est avec une petite demi-heure de retard sur l’horaire initialement prévu pour le démarrage de leur concert, et après deux fausses alertes qui ont commencé à nous inquiéter, que les musiciens de Fontaines D.C. déboulent, accompagnés – et on les en remercie de tout cœur – par une chanson des merveilleux Pogues. Le quintet dublinois n’a pas l’air au mieux de sa forme : Carlos, l’espagnol de la bande, a sa bouteille de vin rouge à la main, déjà bien entamée, et Grian Chatten n’a pas non plus le regard trop clair ! Ajoutons à ça que la posture du groupe, peu communicative et plutôt tranquille, ne correspond pas vraiment à l’urgence punk que dégagent certaines chansons de “Dogrel”. Nous voilà bien obligés d’admettre que nous n’assistons pas ici à la naissance de nouveaux Undertones – à notre humble avis, le meilleur groupe que l’Irlande ait jamais enfanté…
Le set démarre puissamment avec l’impeccable Chequeless Reckless, redoutable déclaration d’intentions de la part d’un jeune groupe qui estime avoir des choses importantes à dire : « A sell-out is someone who becomes a hypocrite in the name of money / An idiot is someone who lets their education do all of their thinking… ». Deux évidences immédiates : le son est magnifique, ample, riche, et tranche donc avec le choix fait pour l’album d’un son plus maigre, presque décharné, laissant la majorité du travail à la voix et aux textes de Grian ; et, justement, Grian, avec sa morgue étudiée, affichant une sorte de dédain, ou tout au moins d’indifférence vis-à-vis de son public pourtant très échauffé, semble surtout inspiré par le grand Mark E. Smith que par Shane McGowan ! Fontaines D.C. est donc, ce concert en est bien la preuve, un groupe “à textes”, voire “à message”. Hurricane Laughter suit et confirme… Dommage quand même que Grian ne donne pas un peu plus de lui-même, et reste aussi détaché, flottant dans ses vêtements trop grands de trois tailles et balayant des yeux les spectateurs d’un air blasé. On peut finalement regretter l’ère des crachats, où ce genre de choses se serait terminé par une belle bataille rangée entre le groupe et le public à coups de glaviots, non ?
Cela dit, placés juste devant Carlos, nous sommes probablement à la place idéale, car le guitariste assure le spectacle à lui tout seul : grandes lampées de vin à la bouteille – on lui en apportera une seconde à mi-parcours… mais il aura la gentillesse de partager avec une fan assoiffée -, jolis coups de pied en l’air, interactions variées avec le premier rang, poses photogéniques, rien à redire à la générosité scénique du Madrilène !
Le concert est en plein ventre mou, car, logiquement, tous les titres de Dogrel ne sont pas des brûlots punks… Et Fontaines D.C. a quand même un peu de mal à maintenir la tension, qui retombe lentement. Heureusement, voilà que déboule Too Real : « None can revolution lead with selfish needs aside / As I cried, I’m about to make a lot of money / … / Is it too real for ya? ». Le Bataclan bascule enfin dans la frénésie en hurlant « Is it too real for ya? ». Là, on retrouve beaucoup plus le véritable esprit de 77, dont se réclament quand même largement nos rebelles dublinois… Des flashes nous reviennent du fond de notre mémoire : le Clash, au même endroit, il y a 42 de ça, les harangues de Joe Strummer, les riffs de Mick Jones. Eux aussi n’avaient à l’époque qu’un seul album et quelques singles sous la ceinture… Bon, il faut s’y résoudre, Dublin ne brûle pas encore ! Mais au moins, quelques groupes comme Fontaines D.C. attisent les flammes…
On approche de la fin, il est temps de rendre hommage au fier folklore local, avec Dublin City Sky : « I was down the bottom half of some old bar in Chinatown / Me shoes had brought the rain and soaked the space for lookin’ down / As drunk as love is lethal, I spun a lady ’round / And I kissed her ‘neath the waking of a Dublin City sky… ». On peut tergiverser à propos de l’accent dublinois qu’affiche Grian, à demi-anglais, et élevé loin de l’Irlande, mais rappelons-nous aussi que Shane MacGowan était né dans le Kent ! Une heure a passé, la conclusion logique s’appelle Big : « My childhood was small / But I’m gonna be big ! ». Acceptons-en l’augure, même si ce soir, nous n’avons pas encore de futurs géants. Ça viendra sans doute, c’est tout le mal qu’on leur souhaite.
Grian nous a bien dit : « We don’t do encores! », donc on plie les gaules tranquillement, au milieu des habituelles discussions entre amis : « C’était génial ! » « Moi, je me suis fait un peu suer ! » etc. etc. Et si nous choisissions de nous souvenir plutôt du remerciement de Carlos : « En France, c’est vrai que vous faites de bons vins rouges ! » ? A nous, ça nous va bien. La révolution peut bien commencer dans un verre. »
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot
Les musiciens de Fontaines D.C. sur scène :
Carlos O’Connell – guitar
Conor Curley – guitar
Conor Deegan III – bass
Grian Chatten – vocals
Tom Coll – drums
La setlist du concert de Fontaines D.C. :
Chequeless Reckless (Dogrel – 2019)
Hurricane Laughter (Dogrel – 2019)
Television Screens (Dogrel – 2019)
Sha Sha Sha (Dogrel – 2019)
A Hero’s Death
The Lotts (Dogrel – 2019)
Lucid Dream
Roy’s Tune (Dogrel – 2019)
Too Real (Dogrel – 2019)
Liberty Belle (Dogrel – 2019)
Boys in the Better Land (Dogrel – 2019)
Dublin City Sky (Dogrel – 2019)
Big (Dogrel – 2019)