A partir d’une idée intéressante, Jessica Hausner réalise un thriller d’anticipation vaniteux, et qui sous-estime un peu trop son public.
L’idée à l’origine de Little Joe, sans être foncièrement novatrice, avait quelque chose d’assez amusant : des chercheurs mettent au point une fleur dont les effluves agissent comme un euphorisant qui permettrait d’accéder au bonheur. Pour aboutir à un tel résultat, on bride les capacités de reproduction du végétal, mais la nature trouvant toujours un chemin (souvenons-nous du mantra issu des maximes de Jurassic Park), la plante va développer des aptitudes inquiétantes pour assurer sa pérennité.
L’exposition du thriller est plutôt efficace : un cadre clinique, une protagoniste davantage mère de sa création que de son propre fils, et des responsables prêt à sacrifier les questions d’éthique sur l’autel d’un profit substantiel. L’image, ultra nette et immaculée, traduit avec efficacité cette nocivité capitaliste qui se cache habilement derrière une supposée quête du bonheur faisant de nous des moutons aseptisés.
Reste à transformer ces graines de récit pour dépasser un court métrage : s’engage ainsi un thriller à conséquences multiples (sur le fils, donc, mais aussi les collègues, plus ou moins consentants, plus ou moins complices), un vague soupçon à l’endroit de la protagoniste qui, marmoréenne, a arraché le prix d’interprétation à Cannes sur un jury qui a dû respirer la même fleur que les personnages pour se laisser abuser à ce point.
Le reste n’est qu’afféteries : un cadre pseudo chirurgical et répétitif (ce zoom sur la plante qui exclut les protagonistes humains parlant autour d’elle), des sourires suspects, des silences pesants et une musique proprement insupportable, nous expliquant à chaque seconde qu’il est temps de s’inquiéter, dans une atmosphère d’art contemporain low cost (flûte traversière, gros KLONK de percussions et remixages d’aboiements de chiens, parce que pourquoi pas, y’a bien un canidé personnage), et faisant aussi fonction de jumpscare de temps à autre, au cas où l’audience s’endormirait devant tant de vanité. S’ajouteront des scènes face à une psychiatre qui permettra de dépasser la honteuse durée de 90 minutes, et d’alourdir les explicitations verbeuses d’enjeux qu’on avait compris depuis fort longtemps.
Le vilain boss avait expliqué que l’accès au bonheur (et, évidemment à la formidable manne que cette nouvelle drogue va générer) est inconditionnel : qu’importe qu’ils soient aliénés, « du moment qu’ils sont heureux ». Jessica Hausner semble s’être dit la même chose à propos de notre angoisse, sous-estimant un peu trop son public.
Sergent Pepper