Immanent fire, le sixième album de Emily Jane White s’impose de suite par sa densité, sa profondeur, sa maîtrise du temps et de l’espace, porté par des arrangements qui semblent faits d’éther et de moire, donnant toute liberté à la chanteuse de porter sa mélancolie contagieuse au-dessus de la mêlée.
Le tout dans un style très victorien, presque gothique, où les allégories sur la mort et la passion plantent un décor délibérément sombre (que l’on pourrait aussi rapprocher de l’univers de sa consœur Marissa Nadler), Emily Jane White convoque les esprits vampiriques, habitués qu’ils sont à la plénitude mortuaire de l’éternité, pour nous offrir un album entre rouge et noir ; tous deux déclinés dans leurs teintes les plus sombres, comme il se doit.
Mais s’il y est question de la mort, c’est aussi pour mieux se délivrer de ses démons. Ainsi, le sang serait le véhicule du poison suprême ; et l’âme, l’enveloppe secrète où le corps se prépare à l’éternité. Les roses rouges ici sont légion, de celles que l’on dépose sur la pierre tombale ou de celle que l’on offre en gerbes au bourreau de ses passions : You can trace the lines broken hearts make / Run your fingers through the cracks of eternal ache.
Dans le très beau Washed away, quatrième titre de l’album, il est aussi question du temps présent, de ce que nous sommes devenus, sans le vouloir, sans le savoir, peut-être : anges déchus d’un paradis qui nous échappe comme le sable entre les doigts, comme cette eau pure et limpide qui nous laverait de tout soupçon : It seems no one has their own eyes / And we all speak from the cage / Are we living in fright / Consenting to be washed away.
Un album volontairement désespéré ; mais qui aurait la politesse de ne nous lester d’aucun plomb, d’aucune forme de complaisance envers le désespoir. Tout se fait ici dans le secrets de l’alchimie. L’or noir des ténèbres se transforme en un sang des plus vermeils ; et face à la mort, l’abandon se fait sans rédition.
Dionys Décrevel