FKA Twigs – Magdalene : dépression et féminité

Avec ce second album intitulé Magdalene, la britannique de 31 ans FKA Twigs livre, cinq ans après le précédent opus, un disque émouvant et tout en subtilité sur la dépression post-rupture et l’affirmation de sa féminité.

FKA TWIGS
Credit – Matthew Stone

Artiste protéiforme, danseuse, vidéaste, chanteuse, FKA Twigs fascine, autant par la froideur du personnage androïde qu’elle esquisse de clip en clip que par la vulnérabilité qui émane de sa musique. Ce deuxième album illustre parfaitement cette dichotomie : ultra-maîtrisé, il apparaît également profondément intime.

Pour incarner ce disque de rupture amoureuse, de dépression, de souffrances morales et physiques, mais également de rédemption et d’exaltation de sa propre féminité, la britannique s’est tournée vers la figure biblique de Marie Madeleine. La Sainte, à laquelle certains exégètes – à tendance conspirationniste – ont accolé une image sulfureuse en la faisant amante du Christ voire même prostituée, sert d’avatar à l’artiste, « créature de désir » en quête de lumière et de pureté.

C’est tout le sens du clip somptueux de Cellophane, par lequel l’album avait été annoncé. Réalisé par le talentueux artiste vidéaste Andrew Thomas Huang, il montrait l’ascension mystique et la chute de FKA Twigs en danseuse de pole dance, attirée par la lumière autant que hantée par ses propres monstres. Un rôle servi par une chorégraphie raffinée pour lequel elle a suivi un entrainement rigoureux, documenté par une vidéo intitulée Practice.

Il faut dire quelques mots du contexte personnel de Tahliah Barnett (nom à la ville de FKA Twigs) au moment de l’écriture de l’album pour en comprendre les méandres. Éprouvée par une rupture amoureuse largement médiatisée – elle était en couple avec l’acteur Robert Pattinson – elle a également subi une opération chirurgicale visant à retirer des tumeurs situées au niveau de l’utérus. Doublement touchée au plus profond de sa féminité, la trentenaire a transmué ses douleurs en matériau d’écriture de cet album cathartique.

La production, assez épurée – synthés, pianos, rythmiques électroniques et quelques incursions de basses post-trap – laisse une large place à la voix de la chanteuse, dont certains passages quasiment a capella. Une voix parfois modifiée, robotisée, souvent claire et juste, toujours pleine de maîtrise. Sa virtuosité et son ample tessiture ne sont jamais forcées. Quand elle va chercher ces aigus cristallins qui ne sont pas sans rappeler Minnie Riperton, c’est toujours avec une subtile fragilité.

Entourée de producteurs chevronnés parmi lesquels Skrillex, Jack Antonoff et Nicolas Jaar, FKA Twigs ne cède jamais à la facilité. Elle continue de tisser son univers ténébreux, teinté de références un peu geeks, qu’elles soient médiévales (les chœurs du morceau d’ouverture, les robes choisies pour la promotion de l’album) ou plus science-fiction (robots, aliens), sans chercher à créer un tube ou à faire danser en soirée. Même lorsqu’elle invite Future, le rappeur d’Atlanta, sur le morceau Holy Terrain, sa musique reste délicate et contenue, aboutissant à un R’n’B mélancolique et lancinant.

L’écoute de cet album est une plongée dans un engourdissement neurasthénique post-rupture. Engourdissement subi ou voulu afin d’atténuer la douleur, parfois provoqué par la prise de médicaments (il est question de Novocaïne et de Promethyzine), on traverse avec elle les différentes étapes de la dépression, le ressassement du souvenir de la personne partie, les remords, la solitude, la réappropriation de son corps et de son esprit, notamment par la reprise en main de sa sexualité – « Active are my fingers/Faux my cunnilingus » (« Actifs sont mes doigts/Feint mon cunnilingus »).

Au final, ce second album parvient à émouvoir, par une fragilité magnifiée par la voix de Tahliah Barnett, mais également par une force qui émerge au fil des morceaux, celle d’une femme qui se relève et qui s’assume, qui maîtrise non seulement sa voix mais tout son corps, livrant dans le processus un peu de son être.

Florian Laporte

FKA Twigs – Magdalene
Label : Young Turks Recordings
Date de sortie  : 8 novembre 2019