Second volet de notre journal de bord pour le Festival du Film Francophone d’Albi. Au programme La fille au bracelet de Stéphane Demoustier, Seules les Bêtes de Dominik Moll et Adam de Maryam Touzani.
Mercredi, jour de sorties, deuxième clap de la semaine et double séance « Coup de cœur avec tout d’abord la projection de la pétillante comédie dramatique Alice et le maire (2019) de Nicolas Pariser. Cette fiction politique très contemporaine au verbe savoureux porte un regard salutaire sur l’engagement politique de nos élus les plus proches, de plus en plus encadrés par le cercle des communicants qui ne laisse plus le temps à ce maire socialiste en panne d’idées d’examiner en profondeur un projet ou une situation. Une invitation à la réflexion, portée par un excellent duo complémentaire : Fabrice Luchini et Anaïs Demoustier dont leurs échanges font le sel de cette fable réussie.
Après ces joutes verbales, place au groove musical avec la deuxième séance « Coup de cœur » consacrée au documentaire Percujam de Alexandre Messina (vainqueur du Prix du public Les Oeillades en 2017). Ce long métrage change le regard sur le handicap, à travers le récit de ce groupe de rock composé de jeunes autistes et de leurs éducateurs qui enflamment toutes les scènes sur lesquelles ils se produisent. Cette belle aventure musicale et fraternelle réchauffe les chœurs, fait tomber les barrières et adoucit singulièrement les mœurs. Artiste, autiste, une lettre d’écart, et le feu sacré de la musique pour les rassembler. De quoi nous faire vibrer de bonheur avec eux, seuls, ensemble !
Après ces réjouissantes redécouvertes, retour dans la compétition de l’édition 2019, avec pas moins de trois films présentés en avant-première :
Je t’aime, filme-moi (2020) de Alexandre Messina
Le réalisateur revient en terre albigeoise, deux après son succès vivifiant relaté ci-dessus, avec un nouveau documentaire financé par une campagne de crowfunding qui lui a permis de récolter la coquette somme de 35000 euros. Cette nouvelle aventure cinématographique narre l’histoire de trois personnages atypiques qui se déplacent dans des lieux isolés à bord d’un camionnette agencée en studio afin de permettre à des gens « de la vraie vie » de pouvoir déclarer sa flamme, son amitié ou ses rêves face caméra à leurs destinataires. Cette tournée sur les places ou lors des marchés du village va tourner au vinaigre, dès lors que leur passé rattrape les protagonistes pour notre plus sympathique satisfaction.
La fille au bracelet (2020) de Stéphane Demoustier. (Sortie 5 février 2020)
Que savons-nous vraiment de la vie de nos adolescents ? Telle pourrait être la cruelle question sous-jacente de ce film de procès, où le drame familial survient au cœur de la justice. Pour son troisième long métrage Stéphane Demoustier relate le procès de Lise, une jeune fille de 18 ans qui porte un bracelet électronique car suspectée d’avoir assassiné l’une de ses meilleures amies. Le long métrage à la mise en scène sobre montre le combat de la famille qui tente de sauver l’adolescente de la prison alors que tout l’accuse. L’intrigue s’avère savamment écrite et le doute perdure jusqu’à la fin grâce à l’intensité des joutes oratoires et les impeccables interprétations d’un casting cinq étoiles (Mélissa Guers, Chiara Mastroianni, Roschdy Zem, Anaïs Demoustier et Annie Mercier). Tragique. Efficace. Troublant.
Adam (2020) de Maryam Touzani. (Sortie 5 février 2020)
Il s’agit d’un double portrait de femmes au sein de la médina de Casablanca qui conte le destin de Samia, une jeune femme enceinte qui trouve un refuge chez Abla, une femme veuve et mère d’une fillette de 8 ans qui tient un magasin de délicieuses pâtisseries marocaines. Maryam Touzani livre une mise en scène délicate par le biais d’une caméra qui prend le temps de capter au plus près les gestes et les regards. La réalisatrice s’appuie pour sa narration sur le lien particulier de la maternité qui va réunir les deux femmes et changer le cours de leur vie. Ce long métrage livre un récit féministe qui s’attarde avec tendresse sur les sentiments et accompagne le chemin chaotique des deux femmes vers leur propre liberté au cœur du Maroc. Profond. Touchant. Salutaire.
Pour conclure cette journée riches en émotions, direction le grand cinéma CGR Les Cordeliers, pour découvrir avec curiosité l’intrigant nouveau film de Dominik Moll dont tout le monde se souvient de son premier coup d’éclat en 2000, avec l’inquiétant et remarquable Harry un ami qui vous veut du bien.
Disons-le d’entrée Seules les Bêtes (sortie prochaine le 4 décembre 2019) est son film le plus abouti depuis son premier coup d’éclat cinématographique cité plus haut car on y retrouve la même atmosphère mystérieuse. Adapté du roman éponyme de Colin Niel paru en 2017, le récit du film garde la même structure narrative en chapitres et rajoute uniquement deux ressorts dramatiques pour rester fidèle au livre. L’intrigue met du temps à se mettre en place pour mieux nous perdre ensuite en suivant le point de vue subjectif d’un personnage à chaque nouveau segment. Chaque partie gigogne permet d’éclaircir la précédente mais apporte également de nouvelles zones d’ombre dans notre esprit. Ce puzzle sous la forme d’un thriller psychologique brille par sa mise en scène précise et par une une écriture scénaristique âpre. Une quête d’amour amplifiée par l’interprétation de Denis Ménochet bien accompagné par la touchante Nadia Tereszkiewicz (récompensée par le Prix de la meilleure actrice au tiff 2019) et les impeccables Damien Bonnard, Laure Calamy et Valeria Bruni Tedeschi. Un polar existentiel réussi !
Une projection saluée par de nombreux applaudissements et dont la présence de Laurent Roüan, brillant monteur du film a permis de mettre en lumière les qualités du film et de distiller quelques anecdotes, tout en dévoilant avec humilité son essentiel travail de l’ombre. Une soirée captivante de bout en bout.
Sébastien Boully