Troisième volet de notre journal de bord pour le Festival du Film Francophone d’Albi Les Oeillades. Au programme :Un Fils de Mehdi Barsaoui, Gloria Mundi de Robert Guédiguian, Tambour battant de François-Christophe Marzal.
Ce jeudi, les étoiles continuent d’illuminer les écrans, alors que l’astre solaire inonde le ciel bleu azur.
Nouvelle programmation au beau fixe en ce début d’après-midi avec l’émotion de présenter en séance « coup de coeur » le magnifique drame d’animation Les hirondelles de Kaboul (2019) de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, une puissante ode à la liberté.
Au même moment, dans une autre salle, les festivaliers pouvaient s’émouvoir devant un autre grand film animé J’ai perdu mon corps (2019) de Jeremy Clapin. Le réalisateur livre une brillante épopée intime SENSATIONNELLE ! Rares sont les films qui invitent tous nos sens à vibrer intensément par le biais d’une richesse visuelle et narrative aussi éblouissante. Cette merveille d’animation (mélange dessins traditionnels en 2D et images de synthèse 3D) déploie un récit mélancolique, complexe mais fluide, à travers le destin d’une main à la recherche de son identité, dont chaque sensation ne cesse de convoquer nos émois. Un bijou d’inventivité dans la mise en scène, sublimé par la composition musicale de Dan Lévy. Allez découvrir en salles l’une des plus belles déclarations d’amour aux pouvoirs d’évocations du cinéma. Honorez cette véritable main tendue comme une offrande emplie d’amour, au cœur de J’ai perdu mon corps. L’une des pépites de l’année !
À peine remis des émotions, les yeux humides levés vers les gradins remplis abondamment, micro à la main, me voilà prêt à accueillir le film en compétition :
Un Fils de Mehdi Barsaoui
https://www.youtube.com/watch?v=cZd556f1KRU
Pour son premier long métrage, le jeune réalisateur tunisien propose un drame familial en plein été 2011, période de tensions politiques, sept mois après la chute de Ben Ali, l’ancien président tunisien, et six semaines avant la mort de Kadhafi, le dirigeant libyen. Un couple amoureux décide de passer un week-end de rêve avec Aziz, leur fils de 11 ans au sud de la Tunisie proche de la frontière où le chaos règne et va engendrer un cauchemar aux répercutions insoupçonnées. Le réalisateur offre une mise en scène précise pour décliner un récit intime et politique oppressant aux multiples thématiques (filiation, poids socio-culturel, mutation d’un pays, trafic d’enfants, dons d’organes) et aux nombreux dilemmes moraux qui se dévoilent à travers un suspense digne d’un polar. Cette œuvre vous étreint le cœur notamment par l’incarnation bouleversante de Sami Bouajila (récompensé par le Prix d’interprétation à la Mostra de Venise 2019 dans la section Orizzonti) et la révélation Najla Ben Abdallah. Un film Beau et poignant qui vous poursuivra bien après la sortie de la salle comme une flamme inextinguible.
Pour clôturer cette journée exceptionnelle, Gérard Meylan est venu présenter et débattre avec passion et conviction (notamment pour la grève générale du 5 décembre) avec le public à l’issue de la projection en avant-première de Gloria Mundi de Robert Guédiguian (sortie le 27 novembre 2019).
Un film qui a enthousiasmé le public, conquis par ce diamant noir, poli par l’un de nos réalisateurs fervent défenseurs des « gens modestes ». Au cœur d’une Marseille hostile et grise, le réalisateur livre une tragédie contemporaine, à travers le destin d’une famille – microcosme de notre société en décomposition – prise en étau entre la macronisation de l’esprit, où le cynisme érigé en nouvelle valeur pousse la jeune génération à vouloir être d’être « premier de cordée » quitte à broyer les miséreux, et le reste de la famille dont la résignation a pris le dessus sur l’envie de combattre. Seul espoir, la naissance de Gloria qui va devenir le lien d’une solidarité mise à mal et engendrer la sacralisation d’un ancien détenu qui se réfugie dans le beau à travers des haïkus pour ne pas voir ce Monde défiguré par ces tours qui prospèrent au-dessus de migrants réfugiés au vieux-port et veut aider les siens quitte à se sacrifier.
Ce geste politique percutant est décliné avec force par les interprétations impeccables de la troupe d’acteurs de Guédiguian (Gérard Meylan, Ariane Ascaride – récompensée par le Prix d’interprétation féminine Mostra de Venise 2019 –, Jean-PIerre Darroussin, Anaïs Demoustier…)
Un film qui sonne comme un cri de colère, destiné à réveiller les consciences, sous peine de finir comme cette famille, tous victimes d’une vie qui n’a plus de sens. Sombre. Poétique. Amer. Saisissant.
Vendredi, quatrième jour du Festival, et le cœur vibre toujours avec des séances qui marquent le coup.
Ce matin, projection particulière pour honorer le succès critique et public du phénomène Papicha, dont le combat pour les droits des femmes résonne dans les rues algériennes depuis plus de quarante semaines, avec des pancartes militantes sur lesquelles de nombreuses inscriptions reprennent le titre du film. Il faut dire qu’entre les us et coutures la liberté secoue. Mounia Meddour opte pour une caméra vibrante, au plus près des peaux, des étoffes (symbole d’émancipation), pour mieux nous faire ressentir les palpitations de vie, la sensualité des corps, le sentiment de peur et la rage devant les actes terroristes perpétrés par ces fondamentalistes religieux (hommes et femmes). Le film dévoile un récit empathique, parfois fragile mais toujours sincère, de la vie quotidienne de ces jeunes filles intensément résistantes malgré l’oppression à chaque coin de rue où derrière les murs. Un combat où la sororité s’éprouve, entre des envie de modernité (vêtements, maquillage, boîte de nuit, musique, cigarette) et l’enfer traditionaliste qui se referme comme un étau sur elles. Un manifeste féministe d’une force visuelle éblouissante, aux séquences chocs qui nous saisissent d’effroi dans le confort de notre salle obscure. Un hymne à la liberté, universelle et salutaire (à l’heure où l’intégrisme ne se dérobe jamais), porté par de formidables jeunes interprètes, dont la révélation Lyna Koudri. Une ode essentielle où la colère se mue en chœur par le biais de ces attachantes Papicha. Puissant. Violent. Bouleversant. Libre.
L’après-midi reprend son cours normal après l’irrespect total démontré par Yamina Benguigui par sa non-venue et son incorrection vis à vis de toutes les personnes du Festival, dont elle ne mérite même pas que l’on mentionne le titre de son documentaire qu’elle devait présenter et débattre avec les lycéens de la région. Retour donc à la compétition avec un réalisateur d’une autre étoffe, et une bouffée cinématographique rafraîchissante au milieu de nombreuses fictions imprégnées par la dureté du monde avec Tambour battant (2019) de François-Christophe Marzal. Une comédie pittoresque inspirée d’une histoire vraie, qui conte une querelle de clocher à Combloux (petit village du Valais, un canton suisse à flanc de montagne) entre deux fanfares en septembre 1970.
Avec humilité, le metteur en scène livre une fantaisie intelligente bien cadencée, où la politique (droit de vote des femmes, référendum pour le renvoi des travailleurs étrangers), la musique et les relations amoureuse se mêlent de concert pour divertir le spectateur avec intelligence. L’angle de la comédie à la Don Camillo permet de croquer tous les protagonistes avec bienveillance au cours de cette année 70, carrefour idéologique, tout en évoquant étonnamment la situation helvète actuelle. Un long métrage malicieux et burlesque qui s’appuie sur un beau casting (Pierre Mifsud, Pascal Demolon, Jean-Luc Bideau, Sabine Timoteo) et dont le plaisir de jouer ensemble transparaît à l’écran. Plaisant et attachant.
Après le versant léger de la journée, retour à l’amer réalité sociétale de la banlieue avec la projection attendue du formidable Les Misérables (2019) de Ladj Ly récompensé justement au Festival de Cannes 2019 par le Prix du jury.
Du côté d’Albi, le black friday ne solde aucun film !
Sébastien Boully