A l’occasion des soixante ans de la série culte, la Boîte à Bulles nous propose ce biopic sur Rod Serling, un créateur hors-normes qui réussit à s’imposer dans le système hollywoodien avant d’en être victime.
Les plus anciens d’entre nous ont tous été marqués par cette série culte au format court (chaque épisode ne durait pas plus de trente minutes) qui a fait les beaux jours de la télé américaine. La série se distinguait des productions habituelles par son audace et sa capacité à susciter la réflexion dans un cadre novateur, sans grands moyens, à une époque où la science-fiction et le fantastique était une denrée rare pour les téléspectateurs amateurs du genre. Aujourd’hui, cette bande dessinée de l’auteur israélo-américain Koren Shadmi rend hommage à son créateur Rod Sterling en narrant son parcours.
Quand on regardait La Quatrième Dimension à la TV, on ne se posait pas vraiment la question de savoir qui en était le créateur, alors qu’en réalité, il était l’homme de la voix off, et parfois même faisait une courte apparition à l’image. La Quatrième Dimension, c’était juste La Quatrième Dimension, point à la ligne. Un moment particulier à l’image de cette spirale du générique où l’on était saisi par le vertige des questionnements métaphysiques induits par chaque épisode. Il y avait aussi cette musique unique, qui vous filait les miquettes à vous terrer derrière le canapé, une des plus célèbres de l’histoire de la télé sans doute, peut-être plus que la série elle-même, y compris pour les plus jeunes qui n’auront même pas eu besoin de regarder un seul épisode !
L’homme en question, c’était Rod Serling, qu’on a un peu oublié mais qui fait pourtant partie des illustres pionniers de la télévision. Et pour ce lutteur infatigable, cette vie ne fut pas un long fleuve tranquille, loin s’en faut. Depuis la seconde guerre d’où il ressortit très marqué en tant que soldat, notamment par la mort de son père qui survint pendant une mission dans le Pacifique, jusqu’à son heure de gloire à Hollywood, l’homme, exigeant et engagé politiquement, qui luttait avec acharnement pour imposer sa vision et ses choix artistiques fit naître autour de lui une sorte d’aura, attirant comme un aimant tout le gratin des stars qui se bousculaient pour tourner dans sa Quatrième Dimension. Puis vint le temps du désenchantement, de la déprime et de la fatigue… « Le jeune homme en colère », floué par son producteur (CBS) en lui cédant ses droits, vit alors sa carrière décliner et fut relégué au rang de second couteau lorsqu’il proposait des scénarios. Hollywood avait eu la peau de Rod Serling.
Koren Shadmi lui rend ainsi hommage en en faisant un personnage de bande dessinée, en tant qu’acteur de sa propre vie. Un hommage appliqué et respectueux pour une narration assez linéaire, pour laquelle on attendait peut-être un peu plus de fantaisie, de folie. Au regard d’une personnalité qui abordait des sujets métaphysiques souvent vertigineux à travers ses histoires, c’est dommage. On exceptera bien sûr l’introduction et la conclusion du livre, où Shadmi nous adresse un clin d’œil plutôt réussi à l’œuvre phare de Serling…
Même pour ce qui est du dessin, fort heureusement en noir et blanc, l’auteur semble avoir joué la carte de l’académisme. Si l’on apprécie son trait réaliste caractérisé par une certaine finesse, ainsi qu’une mise en page de bon aloi, on aurait bien aimé ne pas le voir s’effacer à ce point derrière toute l’admiration qu’il porte à ce « vieil ami » qu’il n’a hélas jamais connu… Ni réussite ni ratage, il est peu probable que L’Homme de la Quatrième Dimension marque les esprits, mais l’ouvrage se laisse lire et plaira sans nul doute à ceux qui ont adoré la série (et leur redonnera sans doute l’envie de la redécouvrir).
Laurent Proudhon
L’Homme de la Quatrième Dimension
Titre original : The Twilight Man
Scénario & dessin : Koren Shadmi
Traduction : Simon Hureau
Editeur : La Boîte à Bulles
176 pages – 24,00 €
Parution : 9 octobre 2019
L’Homme de la Quatrième Dimension – Extrait :