Avant que Dolls (2002) ne vienne définitivement rompre la superbe collaboration entre les deux maîtres Japonais, Takeshi Kitano et Joe Hisaishi livraient aux oreilles des cinéphiles du monde entier certaines des plus belles BO des 90’s. Le cinéma poétique et ultra-violent de Kitano-san rencontre les mélodies douces et enivrantes de Joe Hisaishi. Kitano redessine le Yakuza eiga, Joe Hisaishi vient colorer l’ensemble. Superbe !
A priori les longs-métrages animés du maître Miyazaki et les éclats de violence sur pellicule de Takeshi Kitano n’ont rien en commun. D’un côté, le voyage décalé, délicieusement surréaliste de Miyazaki.
Ses héroïnes à la frontière étrange de l’enfance et de l’adolescence, ses monstres attachants et ses humains odieux, ces mondes à découvrir et ces vérités à oublier.
Et en face, la réalité brutale de la violence made in Kitano.
La poésie glaciale au milieu des balles, des haïkus nerveux aussi beaux que mortels.
Les gangsters, la plage et la contemplation. Des plans fixes et des explosions de violence comme autant de coups de pinceaux inspirés sur une toile vierge.
Deux univers diamétralement opposés. Deux visions du monde et de ses prochains aux antipodes.
Pourtant un homme fait le lien. Un homme parvient à rapprocher ces deux grands maîtres Nippons ; insensiblement.
Un homme, un musicien, dont l’identité musicale est si forte, qu’elle en devient un personnage à part entière.
Joe Hisaishi.
C’est en 1991 que les producteurs de Beat Takeshi font appel à Joe Hisaishi pour la musique du très contemplatif et serein c. C’est une révélation !
Le cinéma mutique de Kitano, cet autisme cinématographique inédit prend immédiatement vie sous la baguette d’Hisaishi.
Voilà ce qu’il manquait aux Takeshi’s Movies, un stylo rouge et une règle pour souligner les images parfois absconses, parfois infantiles du Pierrot lunaire Takeshi.
Un Kitano qui après quelques tâtonnements musicaux, quelques interrogations mélodiques (Violent Cop où il empruntera la musique minimaliste d’Erik Satie et Jugatsu où la musique est absente) semble avoir trouvé l’encre à sa plume, la couleur à ses tableaux.
C’est L’été de Kikujiro qui ouvre le bal.
Mélodie douce-amère pianotée du bout des doigts. Elle suit Masao sur le chemin de l’apprentissage, elle grandit avec lui, elle fait évoluer ces quelques notes de piano enfantines, les entraînant dans un crescendo final où les cordes prennent le dessus, finissant la transformation de Masao et la rédemption de Kikujiro.
C’est le thème très Jazzy d’Aniki mon frère qui succède au pastel Kikujiro.
La sensibilité Nippone de nos deux amis traverse l’océan et prend ses quartiers dans les bas-fonds de Los Angeles.
Kitano ressasse ses thèmes fétiches, filme la mer côté Ricain et déchaîne une violence à base de Motherfucker et fleurant bon le hot-dog bon marché.
Hisaishi, lui, signe l’hommage respectueux du Japon au film noir Américain avec une bande-son pleine de cuivre et de Spleen.
Ensuite, le Silent Love d’un éboueur sourd et muet épris de Surf et sa fiancée silencieuse vient se poser délicatement sur ton oreille.
Un petit bijou cristallin pour leur première collaboration, une douce mélopée belle comme la chanson de la mer et aussi fragile que la vague en fin de vie s’écrasant tristement à tes pieds.
Un ravissement auditif hypnotique comme le chant des sirènes; des sirènes que tu suis, fasciné, dans leur royaume, en te jetant à l’eau, espérant ne jamais remonter et les entendre chanter à tout jamais.
C’est en suivant des Yakuzas en cavale, des mafieux violents et sans états d’âmes venus se planquer sur l’île d’Okinawa au milieu des fleurs et des balles perdues, que Kitano va mettre réellement en place son cinéma.
C’est sa Sonatine qui va marquer au fer rouge ses obsessions de réalisateur, c’est elle qui modèle le renouveau du Yakuza eiga faisant de ce film de genre classique, une oeuvre d’une poésie violente, colorée et hermétique.
Joe Hisaishi collera sur le dos de ces mafieux en ballade mortelle, comme l’ avis de recherche « Mort ou vif », une ritournelle entêtante et d’une beauté glacée qui les suivra jusqu’au trou.
Qui fera de cette Sonatine, une véritable mélodie mortelle au sens propre.
La B-O de Kids Return est un peu en dessous malgré une énergie Electro entraînante et toujours ces gimmicks Pop qui accrochent l’oreille et dont Hisaishi est passé maître.
L’album finira avec la magistrale mélodie piano/violon du film le plus maîtrisé de Kitano-San: Le fascinant Hana-Bi.
La complicité est parfaite entre les deux maîtres, l’émotion à fleur de peau.
La beauté du désespoir fait pleurer tes yeux et s’insinue dans tes oreilles pour ne plus en sortir.
La fusion s’opère dès les premières images pour ne cesser qu’à la dernière seconde, qu’à ce final sublime, violent et dramatique.
Une oeuvre simple comme une toile blanche. Une ode à l’amour délicate à la poésie absconse et souvent déstabilisante. L’aboutissement d’une collaboration bénie des Dieux, d’une symbiose parfaite entre deux artistes et leurs oeuvres respectives.
Kitano et Hisaishi (comme la pochette le laisse à penser) sont les deux faces d’une seule et même pièce.
Un pile ou face qui ne choisirai pas, qui n’opterai pas, qui tomberait sur la tranche et laisserait visible les deux faces de la même pièce.
Le côté pile Cinéma, le côté face Musique. Un pile ou face où il n’y aurait, au final, qu’un seul gagnant: Le spectateur.
Renaud ZBN