On peut bien avoir fait partie de Labradford, l’un des groupes les plus essentiels de la musique contemporaine mais continuer sans cesse de se remettre en question, de rebattre les cartes pour mieux réinventer son jeu avec Pan American et cette nouvelle merveille qu’est A Son.
On peut s’appeler Mark Nelson, avoir fait partie de Labradford, considéré par beaucoup comme un groupe majeur au même titre que Talk Talk et continuer de sortir de sa zone de confort à chaque disque.
A Son fait suite à Cloud Room, Glass Room (2013) mais s’avère bien plus acoustique dans son approche, peut-être aussi plus immédiatement accessible dans des ambiances voisines de Quiet City (2004), un Americana de l’intime où les grands espaces sont bannis au profit de l’infiniment petit où les deux Mark (Linkous et Hollis) bavardent silencieusement.
A Son ressemble finalement à des comptines accidentées pour des adultes qui n’auraient pas oublié l’enfant qu’ils furent un jour. Pourtant, quand on écoute les disques Ambient (si on tend à limiter le travail de Mark Nelson à ce qualificatif, ce qui serait sans doute une erreur), force est de reconnaître que peu d’entre eux dépassent la simple sensation agréable de rentrer dans du coton tant ils semblent marquer par l’empreinte indélébile de Brian Eno ou de Gavin Bryars, soient de longues nappes répétitives forcément un peu marquées par la présence de l’école minimale américaine. Si nous poursuivons sur de telles digressions un peu dispensables, il faut rappeler la belle santé créative de Brian Eno à l’image du superbe Lux (2012) où le musicien a installé ses machines et son génie dans les murs du palais Venaria à Turin pour mieux travailler le son et la réverbération du lieu, pour extraire des façades une mémoire enfouie, faire remonter à la réalité et la surface une fragrance estompée.
Même si Mark Nelson et Brian Eno sont aussi éloignés que Patrick Bruel peut l’être de la musique, ils ont un élément en commun, c’est celui de vouloir travailler l’espace pour en faire resurgir des lieux disparus. A travers Tout A Son, c’est par les résurgences de la musique américaine que Mark Nelson ranime un folklore aux paysages désertiques, un lieu habité par la Carter Family, Suicide ou Jimmy Reed.
Pour constat de départ, l’ex Labradford a entamé ce questionnement tout simple :
« Que provoque la musique ? Quand peut-on parler de musique ? A quel point peut-on la dénuder pour la rendre la plus simple possible? Pour qu’elle soit totalement honnête et authentique ? »
C’est sans doute cela qui rapproche A Son des premiers disques de Mark Nelson avec Labradford ou encore du chef d’oeuvre Quiet City dont certains ne se sont toujours pas remis. On a rarement entendu murmurer et pleurer une guitare comme celle de Mark Nelson sur Lights Of Little Towns. Est-ce un hasard si sur ce disque profondément folk qui ne s’interdit pas la distorsion, on croit reconnaître l’ombre de Feu Spokane, le groupe de Rick Alverson officiant désormais avec Lean Year ? Rien de surprenant à cela quand on se rappelle que Robert Donne, le complice de longue date de Mark Nelson dans Labradford participait également à ce projet.
En se délestant des tentations électroniques qui occupaient les derniers disques de Pan American, Mark Nelson opère un retour aux sources, un back to basics comme le dit si bien la langue anglaise. En tentant le dénuement le plus absolu, il n’en habite que plus chacune des notes. A Son s’avère être un disque qui vous place dans un état de léthargie pour ne pas dire de somnolence mais de ces sommeils qui provoquent paradoxalement une forme d’éveil à soi et aux sensations qui pullulent tout autour, en général sous notre regard indifférent.
Le miniature Ivory Joe Hunter Little Walter, espèce d’Haiku sonore, pose immédiatement la scène dans une géographie incertaine entre folklore grecque et rengaine oubliée nord-américaine. A Son n’est pas seulement un disque instrumental, pour preuve Memphis Helena ou Mark Nelson chante le déracinement et la perte de repères. On pourrait citer encore Brewthru où Nelson fait se conjuguer électrique et acoustique le tout accompagné de sa voix blanche. il déstructure à l’envie le vieux standard Shenandoah autrefois repris entre autre par Tennessee Ernie Ford ou les pionniers naviguant le long de la rivière Missouri. Une chanson née au début du 19ème siècle et qui a connu depuis sa création une et mille métamorphoses. Est-ce un indice donné par Mark Nelson poursuivant son questionnement sur l’utilité de la musique ? Une chanson ne serait jamais une matière figée mais belle et bien un terreau fertile qui ne cesserait de germer et de changer de signification au fur et à mesure de ses différentes vies, elle ne serait que la coquille creuse attendant un nouvel habitant pour l’occuper et lui donner une autre pulsation.. Mark Nelson ne s’essaie jamais à nous donner des solutions ou des réponses sentencieuses et assurées, il leur préfère d’autres questions et encore d’autres questions comme un dialogue entre ses interrogations et les nôtres.
Pas sur que ce grand disque rencontre un large public. Ce qui est certain, c’est que ceux qui s’y plongeront seront sûrement bouleversés par la grâce qui irradie A Son et ses 9 longues plages contemplatives. A Son est encore un chef d’oeuvre à ajouter à la collection des immenses objets sonores que Mark Nelson a enregistré avec ou sans Labradford.
Un des disques de l’année en tous les cas.
Greg Bod