Sans doute du fait de sa retenue naturelle, Robert Forster a échoué jeudi soir à la Boule Noire à créer assez d’empathie avec son public pour élever au niveau qu’elles méritent ses très belles chansons.
Cela a été très difficile ce soir de choisir de ne pas aller au Trabendo applaudir le meilleur groupe scénique actuel, The Psychotic Monks, pour rejoindre un public très mûr (doux aphorisme) à la Boule Noire et accueillir l’un des rares passages en France d’un artiste australien qui marqua les années 80 : Robert Forster, co-leader des fantastiques Go-Betweens, un homme à qui il nous semblait impensable de ne pas aller témoigner tout le respect qu’il mérite. Surtout que l’on ne parle pas d’un artiste épuisé, auquel on n’accorderait que le crédit de la nostalgie, puisqu’il a publié cette année l’un de ses tous meilleurs albums, Inferno, rempli de mélodies irrésistibles, de textes sincères et malins, et porteur d’une vision aussi simple que profondément décalée par rapport à notre époque.
20h40 : Robert Forster nous avait promis de venir accompagné de son épouse au violon – d’ailleurs c’était même inscrit sur le billet… – mais il est bel et bien seul, avec sa guitare acoustique, sur la scène de la Boule Noire, par ailleurs remplie de fidèles des Go-Betweens. On aurait aimé avoir un mot d’explication sur cette absence, mais on n’en saura rien de plus…
En attaquant son set par trois chansons de son ancien groupe, dont I’m All Right, premier extrait de leur plus bel album, 16 Lovers Lane, Robert nous envoie clairement un signe – celui que personnellement, nous n’avions pas envie de recevoir -, c’est que nous allons regarder un maximum ensemble dans le rétroviseur. C’est franchement dommage quand on a du matériel impeccable à jouer comme celui de Inferno : et d’ailleurs nous n’aurons droit qu’à trois pauvres titres de ce disque, à notre grande frustration.
Robert, vêtu comme à la ville, a tout du gentleman vieillissant, y compris l’auto-dérision et la rigidité que l’on associe naturellement à son physique. Auto-dérision dont il fera amplement usage tout au long de la soirée, au point que cela finira par en être un peu lassant : entre ses déclarations sur le fait qu’il ne sait pas très bien jouer de la guitare, qu’il n’a aucune imagination ce qui l’oblige à ne raconter que des histoires vraies (en introduction de German Farmhouse), qu’il ne va pas arriver à jouer le solo sur la fin de la chanson, et ce d’autant qu’il n’a aucun musicien pour l’accompagner, ce qui rend un solo de guitare ridicule (Life Has Turned A Page), et ses ronchonnements répétés sur l’éclairage pourtant impeccable ce soir, on ne peut pas dire que ce tout ce qui sort de la bouche de Robert ce soir soit passionnant. Le public rit, un peu par politesse sans doute, mais le lien empathique entre l’artiste et ses fans, si essentiel à la réussite d’une performance solo, ne s’établira que très tardivement, et sans doute trop faiblement.
One Bird in the Sky est un morceau sublime qui conclut Inferno de la plus belle des manières, et nous n’aurons droit qu’à une version plate ce soir, qui soulèvera pourtant les premiers cris d’enthousiasme dans la salle, après un démarrage du set assez laborieux. Les premiers chœurs s’élèveront spontanément dans la Boule Noire sur Spring Rain, ce qui change évidemment tout, et contribue à établir enfin une atmosphère d’amour commun pour ces grandes chansons… qui ne sont pas toutes à leur avantage ce soir dans ces versions non seulement très dépouillées, mais surtout trop retenues.
Après le fameux “solo” de Life Has Turned a Page, Robert demande aux gens qui publieront un compte-rendu de ce concert sur leur blog de bien le mentionner : c’est donc fait, Robert !
In the Core of a Flame est encore un crowd pleaser, si on ose dire, mais ce sera enfin une très belle version de Danger in the Past, avec une participation active du public, qui justifiera notre présence, tant à Robert qu’à nous les fans, ce soir à la Boule Noire. On est alors dans ce qu’on peut considérer comme un rappel, même si Robert ne fait plus de rappels, puisqu’il nous avoue (sans surprise) ne plus avoir envie de jouer à ce jeu-là. Il se plante au milieu de 121, nous invite à venir le rejoindre au stand de merchandising en annonçant qu’il signera n’importe quoi, même des disques et des livres qui ne sont pas les siens. Il nous quitte sur un Dive for your Memory qu’on aime s’imaginer dédié à la mémoire de son acolyte Grant McLennan, non sans être venu nous serrer la main au premier rang.
Bon, les commentaires entendus dans la salle ne sont pas trop enthousiastes (on aura même entendu le mot : “poussif” !), mais nous, nous regretterons surtout que, étant donné les limitations “techniques” de Robert, il ne se soit pas plus ouvert à nous : puisqu’il prétend ses chansons réalistes et autobiographiques, nous aurions aimé entendre les souvenirs de ce désormais vétéran de la musique indie, ou au moins quelques anecdotes personnelles qui auraient rendu ce set de 1h35 plus généreux, moins… “impersonnel”.
Comme quoi, l’élégance et la distinction d’un véritable gentleman, même aussi talentueux que Robert Forster, ce n’est pas vraiment compatible avec la qualité d’un concert… »
Texte et photos : Eric Debarnot
La setlist du concert de Robert Forster :
Born to a Family (The Go‐Betweens – Oceans Apart – 2005)
Spirit (The Go‐Betweens – The Friends of Rachel Worth – 2000)
I’m All Right (The Go‐Betweens – 16 Lovers Lane – 1988)
Let Me Imagine You (Songs to Play – 2015)
Clouds (The Go‐Betweens – 16 Lovers Lane – 1988)
One Bird in the Sky (Inferno – 2019)
Here Comes a City (The Go‐Betweens – Oceans Apart – 2005)
Darlinghurst Nights (The Go‐Betweens – Oceans Apart – 2005)
German Farmhouse (The Go‐Betweens – The Friends of Rachel Worth – 2000)
Spring Rain (The Go‐Betweens – Liberty Belle And The Black Diamond Express – 1986)
Life Has Turned a Page (Inferno – 2019)
Love Is a Sign (The Go‐Betweens – 16 Lovers Lane – 1988)
Inferno (Brisbane in Summer) (Inferno – 2019)
Remain (Inferno – 2019)
In the Core of a Flame (The Go‐Betweens – Liberty Belle And The Black Diamond Express – 1986)
Learn to Burn (Songs to Play – 2015)
Danger in the Past (Danger in the Past – 1990)
Head Full of Steam (The Go‐Betweens – Liberty Belle And The Black Diamond Express – 1986)
Surfing Magazines (The Go‐Betweens – The Friends of Rachel Worth – 2000)
121 (Calling From A Country Phone – 1993)
Dive for Your Memory (The Go‐Betweens – 16 Lovers Lane – 1988)